Loi « Ecole de la Confiance » : pour instaurer la confiance supprimez l’article 1
Parole sur article 1er – PJL pour une école de la confiance (2 minutes 30)
Monsieur le Président,
Monsieur le ministre,
Mes chers collègues,
Dans un opuscule de 2007, Yann Algan et Pierre Cahuc démontrent à quel point la France est une société de défiance. La méfiance à tous les échelons finit par impacter négativement son modèle social et la perception que tout un chacun peut avoir de l’Etat-Providence. En 2012, les mêmes auteurs, ainsi qu’André Zylberberg, prolongent l’analyse afin d’expliquer les causes de cette défiance généralisée : l’obsession française pour les classements, l’inertie liée à son fonctionnement extrêmement pyramidal et la fragmentation horizontale qui en résulte sont notamment pointés.
L’Ecole, en tant qu’institution de la République, n’échappe pas à ce constat. Dans un sondage IFOP de 2018, 65% des Français considèrent que le système scolaire ne garantit plus l’égalité des chances. Autrement dit, la promesse républicaine attachée à l’Ecole, qui veut que chaque enfant, par son mérite, et indirectement celui des professeurs qui le forment, puisse sortir de sa condition et évoluer socialement, apparaît de plus en plus comme une illusion.
En ce sens, nous ne pouvons que souscrire, Monsieur le ministre, à votre volonté de réintroduire de la confiance au sein du système scolaire ; ou, plus précisément, de vouloir passer d’un rapport de défiance à un rapport de confiance à l’égard de l’institution. En revanche, nous ne pouvons que nous interroger sur la méthode employée : peut-on créer une spirale positive, établissant progressivement de la confiance dans l’ensemble de la communauté éducative, en instillant implicitement une forme de défiance à l’encontre des personnels de l’éducation nationale, en particulier des professeurs, et ce dès l’article premier du projet de loi ?
Tel n’était pas votre objectif initial ; mais tel a été le résultat, comme vous avez pu le constater. On pourrait éventuellement arguer de la portée normative des dispositions, mais comme l’a souligné le Conseil d’Etat dans son avis, « si ces dispositions expriment certaines des valeurs incontestables autour desquelles l’école républicaine est construite, elles ne produisent par elles-mêmes aucun effet de droit et réitèrent des obligations générales qui découlent du statut des fonctionnaires comme de lois particulières assorties, le cas échéant, de sanctions pénales ». En d’autres termes, l’intention est louable, mais nul besoin de la loi pour répéter la loi.
Par conséquent, en choisissant de réaffirmer le devoir de réserve des personnels de la communauté éducative, et au premier chef celui des enseignants, vous suscitez le doute, l’incompréhension et, in fine, la méfiance entre votre ministère et les professeurs. Pensez-vous que cette manière de procéder est de nature à instaurer le climat de confiance que tout le monde désire ?
D’ailleurs, sur ce point, je remarque que vous auriez pu équilibrer davantage la rédaction de l’article, en rappelant qu’en parallèle de l’obligation de réserve imposée aux enseignants, ils disposent d’une liberté pédagogique garantie par l’article L. 912-1-1 du code de l’éducation. A défaut d’avoir une portée juridique, cette écriture aurait permis de mettre un droit en miroir d’un devoir.
Pour exister, et surtout être consolidé, le « lien de confiance qui unit les élèves et leur famille au service public de l’éducation » implique écoute et apaisement. Pour cette raison, il semble plus que nécessaire de retirer cet article du projet de loi. Ce signal permettrait de calmer les craintes de la communauté éducative, puis de se concentrer sur le projet commun que nous souhaitons pour l’Ecole ainsi que sur les moyens de parvenir, collectivement, à renforcer la confiance en son sein.
Je vous remercie.