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Audiovisuel public : vers un nouveau report de la « réforme maudite » ?

Par Simon Barbarit
Publié le 04/04/2025

Adoptée en juin 2023 par le Sénat, la proposition de loi de Laurent Lafon qui prévoit la création d’une holding pour chapeauter les différentes entités de Radio France et France Télévisions pourraient voir, une fois de plus, son examen reporté à l’Assemblée nationale, après un incident opposant la ministre Rachida Dati et une fonctionnaire de l’Assemblée nationale. « Cette réforme est maudite », finit par croire le rapporteur du texte, Jean-Raymond Hugonet.

C’est la réforme phare du portefeuille de la culture de ces dernières années : Faire « Une BBC à la française » qui rassemblerait toutes les entités de l’audiovisuel public. Une promesse d’Emmanuel Macron en 2017, que ses ministres de la culture successifs ont la charge de mettre en œuvre, sans succès jusqu’ici.

Rachida Dati est-elle en train de suivre le chemin de ses prédécesseurs ? La ministre de la Culture, Rachida Dati a aussi, malgré elle, fragilisé le calendrier de l’examen du texte. Il pourrait ne plus être examiné cette semaine finalement. En cause. De violents échanges verbaux opposant la ministre de la Culture à une fonctionnaire de l’Assemblée nationale qui ont entraîné la suspension de la réunion de la commission. L’examen n’a pas repris les jours suivants car la ministre a refusé de s’excuser. L’examen des 900 amendements devrait reprendre lundi 7 mars.

L’examen n’est plus assuré cette semaine

Comme le confirme Laurent Lafon, président centriste de la commission de la culture et de la communication, et auteur du texte, l’examen de la proposition de loi n’est désormais plus assuré cette semaine en raison d’un calendrier chargé. « Il arrive en troisième position, derrière la proposition de loi Paris-Lyon-Marseille et le texte simplification. Deux textes qui sont également importants et qui doivent être voté avant. Au Sénat, une nouvelle lecture de la proposition de loi audiovisuelle est prévue le 5 mai. Si le texte n’est pas voté par les députés le 10 avril, nous décalerons », confirme-t-il. Laurent Lafon dénonce l’obstruction des « députés de gauche qui ont déposé près de 1000 amendements en commission.

Son collègue, Jean-Raymond Hugonet (app LR), rapporteur du texte perçoit dans les oppositions « un combat d’arrière-garde ». « Le mouvement est irréversible. Il répond à des enjeux d’efficacité et d’équilibre financier dans un contexte où les réductions budgétaires vont toucher tous les domaines, sauf la défense. Je ne voudrais pas qu’à force de compromis, la réforme soit vidée de son sens. De guerre lasse, et pour faire avancer les choses, la majorité sénatoriale a accepté une holding au lieu d’une fusion. Plus on avance et plus on rogne cette proposition de loi. France Médias Monde (RFI et France 24) vont maintenant être exclus de cette holding. C’est une erreur », appuie-t-il.

Le rapprochement des entités de l’audiovisuel public est une proposition de longue date de la majorité sénatoriale. En juin 2022, le rapport d’information Karoutchi-Hugonet préconisait même la fusion de France Télévisions et de Radio France. La proposition de loi du Sénat, dont l’examen est prévu jeudi 10 avril, est plus modeste et prévoit de créer une holding audiovisuelle pour « regrouper les forces et les énergies de l’audiovisuel public ».

« D’autres pays, ont mené cette réflexion avant nous »

Suffisamment inquiétant néanmoins pour les syndicats de l’audiovisuel public qui ont appelé à la grève des salariés lundi 31 mars et mardi 1er avril, pointant les « graves conséquences » d’une baisse des budgets et d’une réforme de la gouvernance. L’auteur de la proposition de loi a, Laurent Lafon s’en désole : « Cette réforme en soi n’a rien d’exceptionnelle. D’autres pays, ont mené cette réflexion avant nous et ont adopté un modèle qui regroupe les différentes entités de l’audiovisuel public. C’est une réforme essentielle pour répondre aux défis technologiques et de la concurrence étrangère. Surtout, ceux qui critiquent cette réforme n’ont rien à proposer à la place. Et il ne viendrait à l’idée de personne aujourd’hui de casser France Télévisions pour revenir à Antenne 2 ou la 3 ».

« Cette affaire est mal emmanchée »

La perspective d’un report de plus pour une proposition de loi votée il y a deux ans en première lecture au Sénat, désespère Jean-Raymond Hugonet. « Cette réforme est maudite », finit-il par croire. Début 2024, à son arrivée en poste, Rachida Dati avait annoncé reprendre la proposition sénatoriale sur la réforme de l’audiovisuel public. L’examen à l’Assemblé avait été stoppé par dissolution surprise d’Emmanuel Macron.

« Cette affaire est mal emmanchée. On ne comprend pas le point de vue de la ministre qui change d’avis constamment. Elle n’a pas de vision stratégique. Ce n’est pas sérieux de fragiliser l’audiovisuel qui n’a jamais fait autant d’audiences tout en faisant des économies ces dernières années », reproche la sénatrice socialiste Sylvie Robert.

La vice-présidente (PS) du Sénat relève les changements de pied de l’exécutif sur plusieurs points du texte, comme la sortie de France Médias Monde de la holding, une demande de l’ancien ministre des Affaires étrangères, Stéphane Séjourné et des élus Modem qui souhaitaient conserver la « spécificité » de FMM. « Et maintenant, le gouvernement veut faire une holding exécutive avec un PDG à sa tête, alors que nous avions voté au Sénat une holding non exécutive pour que chacune des entités garde sa spécificité », rappelle-t-elle.

« Ça ne pose aucune difficulté, ça reste dans l’esprit du texte », assure Laurent Lafon. Quant au financement, l’article 5 du texte prévoit qu’il est constitué par une ressource publique » de nature fiscale, pérenne, suffisante, prévisible et prenant en compte l’inflation ». « Quand j’ai déposé le texte nous n’avions pas encore l’assurance d’un financement de nature fiscale et pérenne », rappelle le sénateur. En effet, en fin d’année 2024, le Sénat a voté à la quasi-unanimité une autre proposition de loi de la majorité sénatoriale qui visant à maintenir le système de financement de l’audiovisuel public en cours depuis la suppression de la redevance en 2022. Si le texte ne satisfait pas pleinement les élus de gauche, ils reconnaissaient son mérite d’éviter une budgétisation.