Erik Orsenna au pays des bibliothèques
Le Parisien -Pierre Vavasseur
15 février 2019, 8h08
Erik Orsenna veut transformer les « maisons du livre » en lieux de vie où l’on pourrait aussi « apprendre les langues étrangères, apprivoiser le numérique »…
Chargé de dresser un état des lieux de la situation des bibliothèques et médiathèques en France, l’écrivain et académicien publie ses conclusions sous la forme d’un récit… qui ne manque pas de sel !
Mission accomplie. Après avoir, à la demande de Françoise Nyssen, précédente ministre de la Culture, passé trois mois à sillonner la France, à l’hiver 2017-2018, pour établir une radiographie des bibliothèques de l’Hexagone et esquisser des stratégies nécessaires à leur développement, l’écrivain et académicien Erik Orsenna publie « Voyage au pays des bibliothèques », coécrit avec Noël Corbin, inspecteur général des affaires culturelles.
Ce tour de France de deux enfants du livre est clairement destiné au grand public. Facile à lire, il est bourré d’informations sur l’état d’un réseau qui répond tant bien que mal à un besoin évident : 27 millions de Français avaient poussé les portes d’une médiathèque en 2016. Depuis, ce chiffre est en constante hausse.
Zones blanches culturelles
Ce récit, qui succède à un rapport remis à Emmanuel Macron il y a un an, n’abrite que des raisons d’espérer et témoigne d’une soif de culture mêlée au plaisir, tous âges et strates sociales confondus, et de la nécessité de réinventer une cohabitation.
« C’est ce qui m’a le plus frappé, observe Erik Orsenna. Cette envie de toutes les catégories de la population d’avoir une maison qui ne soit pas seulement une maison de livres. Mais où l’on puisse aussi apprendre les langues étrangères, apprivoiser le numérique, accueillir des immigrés, consulter la presse, travailler… Les maires se rendent bien compte que ce sont des lieux de vie et de travail, parce qu’il n’y a pas suffisamment de bibliothèques scolaires avec des points wi-fi et ils essaient d’y répondre sauf… qu’ils ne le peuvent pas car ils n’ont pas d’argent. »
Et d’apporter en mains propres une lettre au président pour lui tenir ce langage : « Comment peux-tu me prier de demander aux maires de France de dépenser l’argent que tu leur as piqué ? » D’autant que certains secteurs visités se sont révélés presque sinistrés. Les Ardennes, la Dordogne, la Haute-Loire, la Haute-Garonne, l’Aisne, la Manche sont à la ramasse. Dans ces zones quasi blanches sur le plan culturel, le docteur Orsenna, qui occupe à l’Académie le fauteuil de Louis Pasteur, n’a qu’un seul remède : « Réveiller le numérique. C’est là où on en a le plus besoin qu’il manque le plus. Cherchez l’erreur. »
Plus de 2 millions d’illettrés en France
De métropole en ville de moins de 10 000 habitants, Orsenna et Corbin sont sans cesse passés du chaud au froid. Le chaud ? Ces 130 000 acteurs décomptés, salariés ou bénévoles, appuyés par des emplois aidés – « Je les appelle des aidants » – qui font de l’accueil et de l’accompagnement des visiteurs une clause désormais essentielle du métier. « Il y a un vrai désir d’humanité. J’ai découvert à quel point les bibliothèques d’aujourd’hui n’ont plus rien à voir avec celles que je fréquentais, quand j’y écrivais mon Goncourt, et où on entendait des chuut ! »
Le froid ? « J’ai appris qu’il y a en France 2,7 millions d’illettrés et, à hauteur de 70 %, ce sont des personnes issues de familles françaises. »
Mais une douche plus glacée encore et totalement inattendue est venue… des arcanes de l’État. « Quand nous sommes allés voir les gens de la Cour des comptes, ils nous ont rétorqué : Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? », s’indigne l’écrivain. Au sujet des membres de l’équipe de Françoise Nyssen, Orsenna y va carrément au sabre. « Je n’ai jamais vu un cabinet aussi négatif et nul ! Et ce pour une raison précise et folle. Ils pensaient qu’on parlait trop de Stéphane Bern (NDLR : chargé de la Mission Patrimoine par Macron) et de moi. Et que ça faisait de l’ombre à la ministre ! »
Restait la question des sous, autre dénouement à rebondissements. « Lors du débat budgétaire pour 2018, le rapporteur de la commission des Finances a dit : Étant donné la situation des finances, ce sera zéro. Sylvie Robert, sénatrice de l’Ille-et-Vilaine (NDLR : qui avait planché avant Orsenna sur l’ouverture des bibliothèques), a alors plaidé : Il faudrait quand même quelque chose : au moins 2 ou 3 millions. À ce moment, Jacqueline Gourault, alors ministre auprès du ministre de l’Intérieur, se lève et annonce : Non ! Je viens d’avoir l’Élysée, ce sera 8, comme le demande Orsenna ! » C’est ainsi qu’en 2018 l’effort de l’État en faveur des bibliothèques territoriales a augmenté de 10 %. Un suspense jusqu’au bout, cette mission Bibliothèques…
« Voyage au pays des bibliothèques », d’Erik Orsenna et Noël Corbin, Ed. Stock, 160 p., 14 €. Le produit des ventes sera reversé à une association de bibliothécaires.
ActuaLitté
Une Journée des Bibliothèques, le 9 avril 2018, et une
consultation
Antoine Oury – 15.03.2018
La remise du rapport d’Erik Orsenna et de Noël Corbin sur la modernisation des bibliothèques n’était qu’une première étape : le 9 avril prochain, le gouvernement organise une « Journée des Bibliothèques », à Paris, au Centre Pompidou, autour du thème « Ouvrir plus, ouvrir mieux ». Et, entre-temps, une plateforme participative, pour faire entendre sa voix, est ouverte.
Deuxième étape au Centre Pompidou pour la grande transformation des bibliothèques : après un premier rendez-vous le 21 septembre 2017, le gouvernement invite les professionnels à une Journée des Bibliothèques le 9 avril prochain.
Au programme, une session sur « L’extension des horaires d’ouverture », animée par Noël Corbin, inspecteur général des affaires culturelles et coauteur du rapport, « Les nouvelles missions des bibliothèques », session animée par Sylvie Robert, sénatrice d’Ille-et-Vilaine, et enfin « L’évolution des métiers » avec Marine Bedel, directrice de la bibliothèque Les Champs libres de Rennes Métropole.
Pour animer et insuffler un peu d’actualité dans des rencontres dont les intitulés, il faut bien l’avouer, infusent un sentiment de déjà-vu, le gouvernement a mis en place une plateforme participative pour permettre aux professionnels de s’exprimer sur différents sujets.
Pour le moment, seuls trois axes sont proposés : « Ouvrir plus les bibliothèques », « Ouvrir mieux les bibliothèques : quelles nouvelles missions ? » et « Comment transformer les bibliothèques ? ». « La totalité des contributions seront intégrées (sic) dans une synthèse cartographique. Les 5 propositions initiales les plus débattues et les 5 propositions les plus soutenues seront présentées lors de la journée du 9 avril », assure la plateforme.