TRIBUNE. « Demain ne peut attendre, redonnons toute leur place à l’art et la culture en Europe »

Dans un texte, cosigné par Raphaël Glucksmann et Olivier Faure, respectivement tête de liste PS-Place publique aux européennes et patron du PS, des élus socialistes estiment qu’il y a aussi une « urgence culturelle » et qu’elle doit être évoquée dans le débat européen.

Raphaël Glucksmann et Olivier Faure ont tous deux signés la tribune.
Raphaël Glucksmann et Olivier Faure ont tous deux signés la tribune. (Sipa)

Voici la tribune de Karine Gloanec Maurin, Raphaël Glucksmann, Olivier Faure et plusieurs responsables socialiste sur la politique culturelle européenne : « À l’approche des élections européennes, l’art et la culture seraient une fois encore les grands absents des débats? Soyons ceux qui portent fièrement l’émancipation, l’humanisme, la fraternité, la solidarité, la poésie dans le discours politique, car ce sont ces principes qui sont essentiels pour donner tout son sens à la construction de l’Europe. Mieux, ils sont le garant d’une ouverture aux idées nouvelles, dans l’accélération des mutations que nous vivons. Ils donnent des outils et des espaces de réflexion pour déformater nos regards et libérer notre imagination dans nos visions d’une Europe ‘réenchantée’.

Il y a urgence!

Il est temps d’inventer cette coopération nécessaire entre le monde intellectuel, les artistes et les experts au niveau européen. Notre continent se perd dans des querelles stériles, pris en tenaille entre les tenants du populisme d’un côté et les défenseurs du statu quo néolibéral de l’autre. Les premiers cherchent à instaurer un nouvel ordre menaçant les libertés et la démocratie. Les seconds s’érigent en rempart pour mieux continuer d’exploiter la planète et les populations, s’arrangeant au passage pour décrédibiliser tout projet alternatif. L’urgence est climatique et sociale, elle est aussi idéologique et donc culturelle.

L’urgence est climatique et sociale, elle est aussi idéologique et donc culturelle

L’idée européenne est bousculée, critiquée, niée. Les populistes la fustigent, pointant ses échecs pour mieux entonner le chant qui est le leur, le rejet de l’autre, soit la fermeture des frontières et le refus d’accueillir les étrangers. Les libéraux, eux, détournent les fondamentaux et négligent les valeurs visées par la construction européenne. Ils ne voient en l’Europe qu’un grand marché pour mieux asseoir la puissance des lobbies financiers. Trop longtemps la politique libérale et l’austérité ont dominé le continent. Or cela ne profite qu’à quelques-uns quand tous doivent se sentir européens. D’autres alternatives existent.

Dans ce contexte rendu critique par les crises multiples qui agitent le monde, rappelons les réussites de l’Union européenne, à commencer par le fait que nous avons construit une Institution politique enviée, et même jalousée, par les autres continents. Ces succès s’appuient sur un terreau culturel commun, travaillé des mêmes valeurs et des mêmes élans libérateurs. Notre histoire commune et notre diversité, notre diversité culturelle sont notre force. Nous devons continuer de l’irriguer par la création artistique, par le travail de l’esprit allié au génie de la main et à celui des corps.

Des choix politiques pour affirmer le rôle central des artistes

Le monde culturel revendique pour les peuples l’émancipation, la justice sociale et la paix. Si l’Union Européenne s’est faite d’abord sur la dimension économique et l’équilibre des marchés, assurant une première forme de stabilité, elle doit revenir aujourd’hui sur ses fondamentaux : c’est par la culture et avec la fierté de placer la culture comme l’élément structurant de notre avenir qu’une nouvelle étape, à laquelle nous aspirons tous, peut advenir. La conscience des luttes à mener est maintenant établie, passons au temps des mobilisations et de l’action pour mettre en œuvre une Europe qui s’invente autrement, tournée vers les femmes et les hommes, une Europe qui a une histoire, des histoires, l’Europe de la culture.

Souvenons-nous, au moment où sont célébrés les 500 ans de la Renaissance, que l’Europe humaniste s’est façonnée sous l’impulsion de la création artistique. L’accès à l’art, la circulation des œuvres et les lieux de diffusion sont les moyens remarquables de faire vivre aussi les valeurs européennes pour que chacun en ait une expérience intime sur tous les territoires. La culture joue un rôle irremplaçable dans l’ouverture à l’autre, la découverte, le partage, l’hospitalité. Elle permet à chacun d’avoir une conscience de sa propre histoire et porte l’altérité. Elle est aussi une force contre l’oppression et l’obscurantisme. Elle a déjà montré sa volontaire implication dans le dialogue interculturel, l’accueil et l’intégration des réfugiés, participant pleinement à la définition de la société de demain.

La culture est le point de départ de nos questionnements en ce qu’elle nous confronte à d’autres manières de voir, de concevoir le monde ; elle nous bouscule dans nos routines et dans nos préjugés, en nous poussant à avancer et à créer. Une société qui se prive de cette dynamique essentielle s’appauvrit et se condamne à la stérilité.

Poursuivons avec fierté les combats culturels d’avenir

L’espoir européen est beaucoup plus ambitieux. L’Europe n’appartient pas aux multinationales, aux géants du numérique, aux marchés internationaux et aux règlements complexes, elle appartient aux citoyens.

Cela nécessite des choix politiques qui affirment le rôle central des artistes comme de l’action culturelle, qui posent la recherche du lien social comme prioritaire et qui reconnaissent à chaque être humain sa dignité et la capacité de faire des choix et de trouver sa place.

Alors poursuivons avec fierté les combats culturels d’avenir en augmentant l’accès au programme Europe créative, au programme Erasmus+ pour le secteur culturel, en garantissant un statut et une juste rémunération aux artistes et aux créateurs européens, en soumettant les GAFAM à leur responsabilité, en faisant de la protection et de la mise en valeur du patrimoine européen un axe transversal de nos politiques… L’émotion générale suscitée par l’incendie foudroyant de Notre-Dame de Paris, symbole de la culture européenne, est la preuve tragique de ce commun qui nous rassemble.

Rappelons-nous les mots de Victor Hugo qui chérissait lui-même l’idée d’Europe : ‘Le temps presse, l’humanité n’a pas une minute à perdre.’ Il est urgent de considérer la culture comme le ciment de l’unité européenne. »

Premiers signataires : Karine Gloanec Maurin (députée européenne), Raphaël Glucksmann (co-fondateur de Place publique, tête de liste d’Envie d’Europe « écologique et sociale » aux élections européennes), Olivier Faure (député de Seine-et-Marne et Premier secrétaire du Parti socialiste), Sylvie Guillaume (députée européenne, vice présidente du Parlement européen), Eric Andrieu (député européen, vice président du groupe de l’alliance progressiste des sociaux-démocrates), Silvia Costa (députée européenne, présidente de la commission culturelle du Parlement européen), Eider Gardiazabal Rubial (députée européenne, membre de la commission culturelle), Virginie Rozière (députée européenne), Julie Ward (députée européenne), Patrick Kanner (sénateur du Nord, président du groupe socialistes et apparentés au Sénat), David Assouline (sénateur de Paris), Sylvie Robert (sénatrice d’Ille et Vilaine), Dominique Potier (député de Meurthe-et-Moselle), Boris Vallaud (député des Landes), Jean-Patrick Gille (conseiller régional du Centre-Val de Loire), Pernelle Richardot (conseillère régionale, présidente du groupe socialiste Grand Est), Olivier Bianchi (maire de Clermont-Ferrand, secrétaire national à la culture du Parti socialiste), Juliette Mant (maire adjointe d’Arcueil), Nora Mebarek (conseillère municipale d’Ales), Vincent Tison (conseiller métropolitain-Tours Métropole Val de Loire), Jacques Renard (ancien membre de cabinet ministériel pour la culture)…