Bruno Retailleau, le patron des LR au Sénat, propose une loi pour durcir l’accès des manifestations aux casseurs. À Rennes, ville touchée par le phénomène, la droite applaudit. La gauche, elle, souligne l’inutilité des mesures.
Né dans les années 1980 en Allemagne et prenant sa source chez les autonomes berlinois – les « Schwarzer Block – qui se sont alors organisés face aux policiers souhaitant les déloger de leurs squats, le phénomène des Black bloc a fini par se faire une place dans le paysage hexagonal. Et en particulier à Rennes et Nantes, où les cortèges traditionnellement formés de syndicalistes et de manifestants sont désormais précédés de plusieurs dizaines d’individus encagoulés et habillés de noir. Des groupes qui s’en prennent à des symboles du capitalisme – banques et assurances en tête – en brisant vitrines ou mobilier urbain, et sont toujours prêts à en découdre avec les forces de police. Une tendance amplifiée dans l’Ouest par les débats autour du feu projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes.
Interdictions personnelles de manifester
Face à ce phénomène, le Sénat a adopté ce mardi 23 octobre une proposition de loi portée par le patron du groupe LR Bruno Retailleau. Objectif : « donner les moyens aux forces de l’ordre d’agir en créant de nouveaux dispositifs à la fois préventif et répressif afin de mettre hors d’état de nuire les casseurs et les agresseurs », écrit le sénateur vendéen. Dans l’arsenal prévu : « les préfets pourront faire contrôler les effets personnels des passants (contrôles visuels et fouilles de sac, palpations de sécurité) dans le périmètre et aux abords immédiats d’une manifestation. Ils pourront aussi prononcer des interdictions personnelles de manifester. Est également prévue la création d’un fichier national des personnes interdites de prendre part à des manifestations. » Autre proposition : transformer en délit l’infraction de dissimulation volontaire du visage, actuellement punie d’une contravention de 5e classe. À la clé : un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende.
À Rennes, théâtre de véritables scènes de guérilla urbaine, on nous dit à chaque fois qu’on n’a pas les moyens législatifs. Là, on aura la possibilité d’agir en amont et au cœur des manifestations.
Autant de dispositifs qui vont dans le bon sens, estime le conseiller municipal LR Bertrand Plouvier et chef de file de l’opposition à Rennes. « Il y avait un vide législatif qui ne permettait pas aux magistrats et aux forces de l’ordre de pouvoir agir », explique l’élu au Télégramme. « À Rennes, théâtre de véritables scènes de guérilla urbaine, on nous dit à chaque fois qu’on n’a pas les moyens législatifs. Là, on aura la possibilité d’agir en amont et au cœur des manifestations. À un moment donné, il faut savoir dire stop ! On n’a pas à s’exprimer dans la violence. »
« Proposition inutile et inopérante »
Une analyse sur le plan législatif que ne partage pas Sylvie Robert, sénatrice socialiste d’Ille-et-Vilaine dont le groupe a voté contre la proposition de loi portée par LR. « L’arsenal juridique existe déjà dans le code de procédure pénal. On n’a pas besoin d’en rajouter, mieux vaut démanteler les groupes de casseurs. Cette proposition est inutile et inopérante. » Et de dénoncer la création d’un « énième fichier ».
« Appliquer des dispositions de l’État d’urgence au domaine de l’ordre intérieur est une espèce d’escalade », complète le sénateur PS Jean-Louis Tourenne. Et d’y voir un aspect dangereux : « Un pouvoir extrémiste demain aurait tout instrument pour interdire une manifestation. » L’élu brétillien préférerait donc que l’on développe les services de renseignements et que l’on dote la police de moyens supplémentaires. « Ceux qui ont proposé cette loi sont les mêmes qui ont supprimé 10 000 à 12 000 postes de policiers sous Nicolas Sarkozy… », note-t-il. Sylvie Robert rappelle par ailleurs qu’un groupe de travail réunissant les ministères de l’Intérieur et de la Justice a été créé pour renforcer les dispositifs proposés. « Attendons ses conclusions », indique la sénatrice, reprenant finalement les mots du secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur, Laurent Nuñez, qui évoque la date du 15 janvier pour la publication du rapport.
Que décideront les députés LREM ?
Reste désormais à savoir comment les députés La République en Marche réagiront lorsque le texte arrivera à l’Assemblée nationale. Mais compte tenu du peu d’empressement du ministre, pas sûr qu’ils aillent dans le sens souhaité par LR. « Cette proposition de loi n’a aucune chance de passer. Le gouvernement n’est pas d’accord, la République en Marche votera contre », parie Jean-Louis Tourenne. Le conseiller municipal Bertrand Plouvier, lui, veut y croire. « J’en appelle à la responsabilité des députés en Ille-et-Vilaine, pour que chacun mette de côté ses réflexes partisans dans un esprit œcuménique. »