Proposition de loi visant à développer l’attractivité culturelle, touristique et économique des territoires via l’ouverture du mécénat culturel aux sociétés publiques locales, présentée par Mme Sylvie ROBERT (texte de la commission, n° 688, 2022-2023)

INTERVENTION PPL OUVERTURE MECENAT SPL CULTURELLES (10 MINUTES)

Monsieur le Président,
Madame la ministre,
Mes chers collègues,

Comme chaque année, nous finissons par évoquer la question de l’ouverture du mécénat aux sociétés publiques locales culturelles (SPL). Nous poursuivons ainsi la tradition -ou plutôt la série devrais-je dire-, après les saisons 2019, 2020, 2021 et 2022, marquées par le dépôt d’amendements au projet de loi de finances ou dans le cadre de lois relatives aux collectivités territoriales -cf la loi dite 3DS-. L’ouverture du mécénat aux SPL culturelles est donc devenue un cheval de bataille sénatorial.

Constant dans ses votes, notre assemblée a toujours soutenu, à l’unanimité, cette mesure. A certains moments, nous n’étions pas loin qu’elle devienne réalité, mais les compromis issus des commissions mixtes paritaires lui ont été systématiquement défavorables, charriant regrets et déceptions.

C’est pourquoi, en cette saison 2023, nous avons décidé d’innover et de « taper plus fort » afin d’inverser le cours de l’histoire : ce n’est plus par voie d’amendement, mais par le biais d’une proposition de loi, que nous voulons permettre aux SPL culturelles de bénéficier du mécénat.

J’utilise à dessein le pronom « nous », car il faut souligner qu’il s’agit d’une initiative transpartisane, traduisant fidèlement l’esprit de concorde qui unit le Sénat sur ce sujet. Les temps de concorde sont rares actuellement, savourons-les -et j’espère que le Gouvernement, faisant preuve de la sagesse qui le caractérise, s’y joindra avec entrain- !

En cette occasion, je salue et associe pleinement mes collègues Julien Bargeton, Hervé Marseille et Antoine Lefèvre, co-auteurs de cette PPL et partenaires précieux dans ce combat en faveur des collectivités territoriales et de la décentralisation.

En effet, cette proposition de loi vise avant tout à développer la culture et l’attractivité des territoires en revenant sur une inégalité de traitement flagrante entre l’Etat et les collectivités. Rappelons qu’à la lecture de l’article 238 bis du code général des impôts, « l’Etat (…) seul ou conjointement avec une ou plusieurs collectivités territoriales » peut recourir au mécénat afin de financer des projets culturels. L’Etat et les collectivités territoriales peuvent donc s’associer et faire appel au mécénat pour mettre en place de tels projets.

La PPL consacre ainsi cette logique d’association, vertueuse et si caractéristique de l’exercice de la compétence culturelle -compétence partagée-, en l’appliquant aux collectivités territoriales qui s’unissent et qui désirent recourir au mécénat en vue de la réalisation d’un projet culturel. En d’autres termes, il ne s’agit nullement de créer un dispositif ad hoc, dérogatoire au droit commun et spécifique aux collectivités, mais bien de leur permettre ce que l’Etat s’autorise. En ce sens, cette PPL répare une inégalité -certains iraient jusqu’à dire une « injustice » – !

Objectivement, quel argument pourrait justifier cette rupture d’égalité entre l’Etat et les collectivités, alors même que le périmètre du mécénat ainsi que les finalités poursuivies sont strictement identiques ? Est-ce à dire que les collectivités territoriales seraient moins légitimes à s’associer entre elles pour développer des projets culturels via le mécénat ? Est-ce à dire que les collectivités territoriales seraient moins garantes de l’intérêt général ? Est-ce à dire que les collectivités territoriales seraient moins précautionneuses quant aux conditions de recours au mécénat ?

Je ne le crois absolument pas et, comme vous vous doutez Madame la ministre, le Sénat ne pourrait que s’inscrire en faux devant une telle défiance. Car il ne s’agit que de confiance : le Gouvernement est-il enfin prêt à faire confiance aux collectivités regroupées sous forme de SPL et qui voudraient déployer une ambition culturelle sur leur territoire ?

Quand il est question de décentralisation, souvent sont invoqués « un big bang territorial », un « acte III » -y compris au sein du Gouvernement d’ailleurs- ; mais la décentralisation peut aussi être approfondie par la méthode des « petits pas », chère à Robert Schuman et Jean Monnet. Ce texte est un « petit pas » décentralisateur. Alors, si vous n’êtes pas décidé à y consentir, comment pourrions-nous croire en la détermination réelle du Gouvernement de « mener ensemble une nouvelle étape pour une vraie décentralisation » (Première ministre) ? Saisissez cette PPL comme un moyen de prouver, en acte, la confiance que vous revendiquez d’accorder aux collectivités.

Par ailleurs, j’ai entendu les questionnements juridiques que pouvait faire naître cette PPL. J’aimerais y apporter plusieurs réponses :

  • premièrement, je tiens à rappeler qu’en vertu de l’article L. 1531-1 du code général des collectivités territoriales, les seuls actionnaires des SPL sont les collectivités territoriales. Cet actionnariat public permet aux collectivités d’œuvrer en commun pour mener des actions d’intérêt général. Mutualisation, souplesse, partenariat public/public à l’échelle locale et subsidiarité effective peuvent ainsi caractériser ces entreprises publiques locales (EPL) ;
  • deuxièmement, les SPL ne peuvent pas créer de filiale et se contentent d’agir pour le compte de leurs collectivités-actionnaires ;
  • troisièmement, en aval, les SPL font l’objet de contrôles multiples et renforcés. S’il était besoin de rassurer, nous pourrions même affirmer qu’elles sont les structures les plus contrôlées ! Elles sont contrôlées par les collectivités-actionnaires qui exercent un contrôle analogue à celui qu’elles effectuent sur leurs services ; par les cours régionales des comptes ; par les commissaires aux comptes ; enfin, elles sont soumises au contrôle de légalité, ce qui permet à l’Etat de s’assurer de la conformité des actes pris par les SPL. Autrement dit, les SPL sont considérablement contrôlées, tant en interne qu’en externe, ce qui apporte de nombreuses garanties ;
  • quatrièmement, la loi 3DS et ses décrets d’application ont affermi les règles en matière de déontologie, de transparence et de prévention des conflits d’intérêts applicables aux EPL. Par exemple, songeons au rapport annuel de l’élu mandataire qui a été particulièrement étoffé ou à la déclaration des intérêts locaux détenus par les élus, y compris par l’élu mandataire ;
  • cinquièmement, je souhaite vivement remercier le rapporteur qui a encore plus sécurisé la PPL, en prévoyant que « le conseil d’administration ou le conseil de surveillance statue sur l’acceptation des dons consentis aux SPL au titre de leurs activités culturelles ou patrimoniales », par analogie au régime qui prévaut pour les dons et legs faits aux communes. Par conséquent, l’édifice visant à prévenir les conflits d’intérêts est consolidé, pour ne pas dire parachevé.

Sur le plan budgétaire, j’ai ouï-dire des réticences qui ont été exprimées. Soyons donc précis : nous parlons d’une dépense fiscale estimée à 1,7 million d’euros par an. Cependant, cette dépense ne prend aucunement en compte les retombées fiscales et économiques indirectes qu’elle engendre : augmentation des recettes de la TVA, des taxes de séjour, de l’emploi et de l’activité économique dans les territoires concernés.

Lors des auditions que j’ai menées, tous mes interlocuteurs -le MuséoParc d’Alésia, le Palais des Papes d’Avignon etc.- ont insisté sur cet aspect : la culture sert aussi de levier pour renforcer l’attractivité touristique et économique des territoires. L’ouverture du mécénat aux SPL participerait de cette palette aux mains des collectivités pour dynamiser leur territoire. Les incertitudes étant aujourd’hui nombreuses, il s’avère fondamental d’octroyer un maximum de moyens aux collectivités, tout en les laissant libres d’y recourir.

C’est pourquoi, je ne pourrais pas comprendre un quelconque dogmatisme qui s’arrêterait à l’évidence, considérant qu’il s’agit d’une dépense fiscale. Oui, et donc ? A-t-elle une incidence positive sur l’activité ? Oui ! Rapporte-t-elle aux collectivités ainsi qu’à l’Etat ? Oui ! La dépense fiscale n’est pas mauvaise en soi, elle peut se révéler un investissement. (Toute idéologie en la matière est de toute manière vouée à rapidement voler en éclats : 32 milliards d’euros par an, pendant au moins dix années, seront nécessaires pour financer la transition écologique. L’enjeu est donc de bien dépenser pour mieux investir : c’est ce que propose la présente PPL.)

J’ajouterai qu’une évaluation du dispositif sera toujours possible -et même souhaitable et bénéfique- afin de mesurer ses effets aussi bien sur les finances publiques que sur l’activité économique, les collectivités territoriales et les secteurs culturel et touristique.

Enfin, cette PPL est évidemment en soutien de la culture, qui a été mise à rude épreuve pendant la crise sanitaire. Je ne vais pas en faire l’historique, mais comme vous le savez, la culture fait partie des secteurs qui ont été les plus fragilisés durant cette période. La reprise a été lente, timide et, encore aujourd’hui, la relance n’est pas définitivement stabilisée. Des interrogations subsistent sur le renouvellement des publics et leurs pratiques, sur les modèles économiques des acteurs culturels, sur le financement de leurs projets, sur leur diffusion, sur l’impact du numérique, sur les modalités de mettre en œuvre, concrètement, la transition écologique.

Parallèlement, d’autres inquiétudes ont émergé eu égard à la dégradation très nette de l’environnement global : renchérissement du coût de l’énergie ayant entraîné le report ou l’annulation de manifestations cet hiver, incertitudes sur la tenue des évènements culturels pendant les Jeux Olympiques pour raisons de sécurité ou de manque de personnels ; plus alarmants encore : retour des entraves à la liberté de création et de l’autocensure des artistes, et désengagement croissant des financeurs publics, pour motifs pécuniaire ou idéologique.

Pour l’exprimer clairement : les arts et la culture sont en danger. Variable d’ajustement budgétaire perpétuelle, terrain de prédilection du résurgent combat idéologique et civilisationnel, il faudra probablement ouvrir une réflexion pour rendre la compétence culture obligatoire et rénover la matrice de nos politiques publiques culturelles. En tout cas, il est une certitude : il faut protéger la culture, tout de suite et maintenant.

Cette PPL apporte ainsi son modeste écot à cet objectif. Elle fait partie d’une politique plus large de sauvegarde, de développement et de valorisation de la vie culturelle de nos territoires. Répondant à la fois à un besoin et à un désir de mécénat de proximité, elle conduirait également les collectivités à amplifier leur politique culturelle, le recours au mécénat n’étant ouvert aux SPL que si leur activité principale est de nature culturelle.

Elan décentralisateur, rigueur juridique, en particulier dans le contrôle, dépense faible par rapport au retour sur investissement, instrument au service d’une ambition et d’une vision culturelles du territoire, les raisons sont multiples et variées de soutenir cette initiative.

Connaissant l’attachement du Sénat à cette mesure, je ne doute pas de son soutien plein et entier ; en revanche, j’espère sincèrement que le Gouvernement s’y montrera favorable, envoyant ainsi un signal positif tant aux collectivités territoriales qu’au monde culturel.

Je vous remercie.