Public Sénat
Le 03 Nov 2021 -Par Louis Mollier-Sabet

Soutien à la culture : 2022, « l’année de tous les dangers », alerte un rapport sénatorial

FRA: Reouverture Cinema Pathe Gare du Sud de Nice

Alors que le plan de relance prévoit 400 millions d’euros de soutien à la création culturelle, le Sénat rendait ce matin un rapport sur l’utilisation de ces crédits budgétaires. Si le rapport salue un soutien massif et efficace au secteur en 2021, il s’interroge sur l’oubli de certains acteurs et de certains territoires de la création culturelle. Surtout, en l’absence de reprise, il alerte sur les futurs dangers qu’encoure le secteur en cas d’arrêt des mesures de soutien.

« Plus qu’un plan de relance, c’est un plan de reprise », dont aurait besoin le secteur culturel français pour Sylvie Robert, sénatrice socialiste et Sonia de la Provôté, sénatrice centriste. La commission de la Culture salue dans ce rapport les 400 millions d’euros injectés dans la création culturelle par le plan de relance du gouvernement, mais alerte sur la persistance des difficultés dans le secteur. « 2021, ça va passer grâce aux aides de l’Etat et la mobilisation des collectivités », affirme ainsi Sylvie Robert, qui se félicite du peu de fermetures définitives de structures culturelles. Mais après l’intervention rapide de la puissance publique, le rapport alerte sur deux problèmes qui subsistent : une utilisation des crédits du plan de relance qui cible toujours les mêmes acteurs et les mêmes territoires, et une reprise incertaine du secteur qui fait craindre pour l’avenir de la création culturelle dans les prochaines années.

1/3 du plan de relance pour l’Opéra de Paris, la Comédie Française et la grande Halle de la Villette

C’est vrai pour l’ensemble des crédits du plan de relance, et ce rapport le confirme le secteur de la création culturelle : l’argent annoncé est arrivé dans les poches de ceux qui devaient le dépenser, et il est arrivé vite. Cela peut paraître évident, mais c’est un véritable défi : certaines administrations ont parfois du mal à dépenser l’argent qu’on leur accorde, surtout quand on parle de sommes aussi importantes. En ce qui concerne la création culturelle, les 400 millions d’euros injectés par le plan de relance représentent une augmentation de 20 % par rapport au budget habituel, qu’il faut arriver à dépenser. Or, ce n’est pas si évident : il faut déterminer à quel théâtre l’on va accorder des subventions par exemple, si tel spectacle ou tel tiers lieu peut être inclus dans les aides, quelles associations peuvent être soutenues par rapport aux objectifs généraux du plan de relance.

Là-dessus, le gouvernement a réussi son pari, avec environ ¾ des crédits dépensés en septembre. Mais la contrepartie, d’après les sénatrices Robert et de la Provôté, c’est que pour ce faire, l’Etat a demandé à ses différentes administrations de dépenser librement ces subsides, mais de le faire sous deux ans. Les sénatrices identifient alors un « effet pervers » dans cette rapidité d’exécution du plan de relance, qui a du coup ciblé les acteurs labellisés par le ministère de la Culture et les institutions « habituelles » avec lesquelles travaillaient les Directions régionales des affaires culturelles (Drac). « Les dossiers arrivaient le vendredi et il fallait trancher le lundi. Les Drac n’étaient pas suffisamment outillées pour être en capacité de toucher tous les acteurs », détaille ainsi Sylvie Robert.

Laurent Lafon, le président de la commission de la Culture, résume la situation : « Sous la pression de la crise, l’Etat a injecté de l’argent de manière classique, mais n’a pas résolu des difficultés structurelles du secteur. » Parmi lesquelles subsiste une faible territorialisation du soutien à la création culturelle, avec 80 % de l’argent du plan de relance affecté à la région parisienne et presque 1/3 des crédits affectés uniquement à l’Opéra de Paris, la Comédie Française et la grande Halle de la Villette. Seuls 20 % des crédits sont « déconcentrés », c’est-à-dire distribués à un niveau local par l’Etat – et principalement au niveau régional – et bénéficient donc surtout aux « gros » acteurs labellisés et habitués des circuits de subventions publiques.

« La grande inconnue » du retour du public

Si la répartition des crédits peut poser question, c’est bien l’ensemble du secteur qui est aujourd’hui sous perfusion du plan de relance. Or a priori, le plan de relance prendra fin l’année prochaine et la reprise tarde à se faire sentir : « Globalement, l’économie est dans une phase de reprise, avec une croissance de la demande, mais le secteur culturel ne vit pas cela. Les gens ne retournent pas en salle de spectacle, c’est la grande inconnue pour l’avenir du secteur » explique Laurent Lafon. Les remontées des acteurs de terrain confirment l’étude présentée par Roselyne Bachelot le 27 octobre dernier : les salles de spectacle sont très loin d’avoir retrouvé leur niveau de fréquentation « normal ». Dans cette étude, seule la moitié des sondés affirment être retournés dans une salle de spectacle, alors qu’ils étaient 88 % à le faire avant la crise sanitaire.

Pour Sylvie Robert et Sonia de la Provôté, cette situation pose la question de la prolongation des dispositifs de soutien au secteur, comme l’année blanche pour les intermittents ou l’échelonnement du remboursement des prêts garantis par l’Etat. Les sénatrices évoquent aussi le fléchage d’une partie du « passe culture » vers le spectacle vivant pour aider à relancer la création culturelle.

Cependant, Sylvie Robert « ne part pas du principe qu’il faut nécessairement rajouter de l’argent sur la table. » En fait, tout dépend d’une reprise éventuelle, « dont on ne connaît pas bien » les tenants et les aboutissants, concède la sénatrice socialiste. Or cette incertitude est en soi nocive pour le secteur culturel : « Ne pas arriver à décoder ce qu’il se passe chez le public crée de l’insécurité » qui détourne des travailleurs, et notamment des techniciens, de l’emploi dans la culture. Au problème de la demande s’ajoute donc un problème de main-d’œuvre et de compétences chez les professionnels de la culture, notamment concernant certains métiers techniques et qualifiés qui viennent à manquer dans les salles de spectacles et les festivals français. Face à ces incertitudes sur la reprise et de la poursuite du soutien au secteur, « 2022 sera l’année de tous les dangers », conclut Sylvie Robert.

Publié le : 03/11/2021 à 12:57  Repris sur le site Public Sénat
Crédits photo principale : SYSPEO/SIPA

La Gazette des Communes
POLITIQUES CULTURELLES
Publié le 03/11/2021 • Par Hélène Girard • dans : Actualité CultureFrance
Art repris sur le site de la Gazette des communes

Le Sénat veut améliorer la relance de la création artistique dans les territoires

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© sergey-nivens-adobestock

Sonia de La Provôté et Sylvie Robert, membres de la commission « culture » du Sénat, ont passé au crible les crédits dédiés à la création dans le plan de relance. Les deux parlementaires dressent un bilan en demi-teinte et avancent douze propositions pour que l’initiative du gouvernement serve à conjurer les menaces qui pèsent sur les acteurs culturels.

« Le plan de relance présente des aspects positifs : d’une part, il acte que la culture est bien considérée comme ‘essentielle’ ; d’autre part, il comporte des montants importants », a observé la sénatrice (Union centriste) du Calvados Sonia de La Provôté le 3 novembre, en présentant le « Rapport  d’information sur la réalité de la mise en œuvre du plan de relance en faveur de la création »,  qu’elle signe avec sa collègue socialiste d’Ille-et-Vilaine Sylvie Robert.

Ce qui donne en chiffres : « plus de 400 millions d’euros d’ici à la fin de l’année 2022 » et une hausse de « plus de 20% du montant des crédits alloués par l’Etat dans le cadre du programme 131 « création » au titre de ces deux années.

Mais là s’arrête le satisfecit adressé au gouvernement. Car les deux sénatrices ont repéré un certain nombre de faiblesses.

« Territorialisation modeste »

A commencer par un déséquilibre à la fois sectoriel et territorial : d’une part, 40% des crédits sont absorbés par le secteur privé du spectacle vivant, y compris les structures ne contribuant pas à la taxe sur les spectacles ; et, d’autre part, « seuls 20% des crédits du plan de relance sont déconcentrés (80 millions) », notent les deux parlementaires, tandis que 30% des crédits vont dans les équipements nationaux, essentiellement parisiens.

Ce qui manque, regrettent les deux rapporteures, c’est une « réelle estimation préalable des besoins de chaque territoire ».  D’où une « répartition aléatoire », et un équilibre territorial qui « ne pourra donc être apprécié qu’ex post. »

Par ailleurs, avec seulement 13,1 millions d’euros  (hors appel à manifestations d’intérêt pour le programme « Mondes nouveaux »), les arts visuels sont quasiment dans un angle mort. Une situation budgétaire que les deux élues jugent incohérente avec la volonté affichée par le gouvernement d’améliorer le soutien aux artistes-créateurs et avec la situation sociale très dégradée de ces derniers.

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Absence de concertation avec les élus et les professionnels

Les sénatrices se sont aussi intéressées aux rouages d’exécution des crédits. « On aurait pu s’attendre à de l’innovation dans le travail avec les collectivités et les professionnels de la culture », a souligné Sylvie Robert, lors de la présentation du rapport. Et d’enfoncer le clou : « ni l’élaboration, ni la mise en œuvre du plan de relance n’ont fait l’objet d’une concertation avec les collectivités. »

Pourtant les instances de concertation existent. Les conseils des territoires pour la culture (CTC) – du moins dans les régions où ils ont été réunis –  « ont au mieux été mobilisés pour informer les collectivités », critique le rapport, qui regrettent que les échanges avec ces dernières se soient résumés à des relations bilatérales entre Drac et collectivités. De ce fait, les sénatrices estiment que « l’effet levier » du plan de relance n’a pas été ce qu’il aurait pu être, avec, de surcroît, un risque « de carences ou d’un doublon des actions. »

Du côté des professionnels, les Coreps (comités régionaux des professions de spectacle) n’ont pas été réactivés contrairement à ce qu’avait promis le gouvernement en 2020. Quant aux Sodavi (schémas d’orientation pour le développement des arts visuels), ils sont, eux-aussi, inexistants dans nombre de régions.

Pression du calendrier sur le plan de relance

Le plan de relance devant se terminer fin 2022, tous les crédits doivent en principe être consommés à ce terme. Conséquence directe : les projets sont examinés sous la pression du calendrier. Pour les deux parlementaires, « l’objectif d’une large ouverture du bénéfice des crédits », qui devaient notamment profiter aux petites structures, habituellement les moins aidées, s’est perdu dans l’urgence. En conséquence, « les aides profitent majoritairement aux acteurs les plus structurés, comme le relève également la Cour des comptes », souligne le rapport.

Prolonger le soutien à la création jusqu’à un retour à la normale

« Pour 2022 et 2023, nous avons de grosses inquiétudes », confient les sénatrices. D’autant plus qu’environ 30% du public manque encore dans les salles de spectacle.

Les deux parlementaires plaident donc pour le maintien du soutien à la relance jusqu’au retour à une situation normale : report sur 2022 des crédits non consommés en 2021, prolongation des mesures d’aide exceptionnelles, instauration d’une garantie financière temporaire de l’Etat pour la prise de risque artistique dans les créations.

Que la « co-construction » devienne « interaction »

Sonia de La Provôté et Sylvie Robert regrettent que le plan de relance n’ait pas été l’occasion de réaliser une vraie « co-construction des politiques culturelles » entre l’Etat et les collectivités, pour parvenir à une « interaction ».

Pour ce faire, les parlementaires proposent :

  • la mise en place d’un conseil territorial pour la culture dans chaque région, avec un fonctionnement d’ « instances opérationnelles d’échanges et de consultations débouchant sur des décisions concertées. »  Une des premières tâches des CTC serait, au niveau national, et dans chaque région, d’« évaluer en commun la mise en œuvre du plan de relance à mi-parcours » ;
  • la réserve de 10% des crédits d’intervention déconcentrés à des projets choisis avec les collectivités, « sous réserve que ces dernières s’engagent à maintenir le niveau global de leurs subventions à la création. »

FOCUS

D’autres propositions des deux rapporteures

Pour les deux sénatrices, la connaissance du secteur de la création, et l’information des professionnels sont à mettre au rang des priorités, avec :

  • la mise en place, dans chaque région, d’un Coreps et d’un Sodavi ;
  • la création d’un observatoire des arts visuels (pour sortir ce secteur de l’angle mort de la création) ;
  • le renforcement des moyens du Conseil national des professions des arts visuels.

Autre impératif : aider les équipements à retrouver leurs publics. Pour ce faire, le rapport préconise trois mesures :

  • la mise à jour des obligations sanitaires sur le site du ministère de la Culture (renforcement de la confiance du public) ;
  • la proportionnalité des mesures restrictives au regard de leur impact sur le secteur de la création (en cas de reprise épidémique) ;
  • l’incitation des utilisateurs du pass Culture à la pratique de la réservation de spectacles et de visites (pour faire de ce passe un des leviers de la relance).