INTERVENTION PPL CREATION DU CENTRE NATIONAL DE LA MUSIQUE – 10 MINUTES

Monsieur le Président,
Monsieur le ministre,
Mes chers collègues,

Il y a quelques années, une fameuse émission diffusée sur le service public annonçait que c’était Ce soir ou jamais ; pour le Centre national de la musique (CNM), c’est maintenant ou jamais ! Une décennie après les premières ébauches de cette maison commune de la musique, il est temps que le projet se concrétise.

A l’évocation de la Fête de la musique, Jack Lang disait « la musique, c’est partout pareil. Ca rassemble. Ça fait du bien. C’est un langage commun ». Paradoxalement, ce « langage commun » ne s’exprime pas dans une agora ou dans un forum commun. Les acteurs de la filière, qui se connaissent pourtant parfaitement, n’ont pas de lieu où ils peuvent échanger, partager leurs analyses du secteur, réfléchir collectivement aux mutations constantes qui le traversent ; en somme, ils n’ont pas de lieu où ils peuvent tous se rassembler, dans leur diversité.

Le futur CNM doit être ce lieu de rassemblement ; et si cette assertion paraît simple, elle n’en recouvre pas moins une grande ambition. Réunir producteurs, éditeurs, diffuseurs, distributeurs, organismes de gestion collective, artistes –ne jamais les oublier, j’y reviendrai, du secteur privé ou public, œuvrant dans la musique enregistrée ou le spectacle vivant, dans le registre classique ou des musiques actuelles, n’est pas une évidence. Les intérêts peuvent être divergents, les habitus différents. Il faut donc une volonté très ferme et un esprit particulièrement constructif afin de parvenir à la construction d’une maison commune ; et à cet instant, je voudrais saluer cet esprit qui anime l’ensemble de la filière. Il est loin d’être anodin.

Ce périmètre élargi, où s’exerce « l’égale dignité des répertoires » selon la belle expression de notre rapporteur, ne va pas sans poser de véritables questions. A défaut d’avoir pu toutes les aborder par voie d’amendement, le Parlement ayant été soumis à une lecture pour le moins rigoureuse des articles 40 et 45 de la Constitution, je souhaiterais souligner, dans cette discussion générale, plusieurs points qui me paraissent essentiels.

Le premier porte sur le rôle et les missions confiées au futur CNM. Je crois qu’il est fondamental qu’il ne soit pas seulement un Centre national de la chanson, des variétés et du jazz (CNV) amélioré, comme celui-ci fut une amélioration du fonds de soutien initialement crée en 1986. Je m’explique.

Unifier en une unique entité le CNV, le Fonds pour la création musicale (FCM), le Bureau export, le Centre d’information et de ressources pour les musiques actuelles (IRMA) et le Club action des labels et des disquaires indépendants français, tout en réunissant l’ensemble des professionnels du secteur, implique de changer de dimension ; plus précisément, que cette nouvelle dimension soit en symbiose avec l’ambition désormais affichée.

Pour l’expliciter plus clairement, le CNM ne peut pas être qu’un guichet où chaque acteur viendrait solliciter l’aide à laquelle il a légitimement droit. Naturellement, cette fonction de soutien au secteur musical, notamment financier, lui est dévolue ; mais afin d’apporter pleinement des solutions aux problématiques de la filière et de conférer au CNM l’envergure qu’il se doit, cette attribution originelle doit être dépassée.

Pour ma part, je pense que la maison commune doit aussi avoir des préoccupations que je qualifierais « d’intérêt général ». D’ailleurs, le champ des missions du CNM reflète cette conception, comme l’illustrent sa participation au développement de l’éducation artistique et culturelle (EAC) ou ses projets menés de concert avec les collectivités territoriales.

C’est pourquoi, j’ai voulu déposer un amendement qui dispose que le CNM « contribue à la mise en œuvre de la politique publique en faveur de la musique ». Sans aucunement se substituer à l’action menée par le ministère de la Culture et son administration, le CNM n’en demeure pas moins une enceinte où l’Etat a vocation à être présent.

Et ici, je me tourne vers vous, Monsieur le ministre. Quand je parle de présence, je n’ai pas en tête une présence passive où les représentants de l’Etat assisteraient sagement aux conseils d’administration. Je considère plutôt un Etat force de propositions à destination de la filière, mobilisateur sur les dossiers épineux du moment, stratège sur les grands enjeux, et ils sont légion, qu’elle doit affronter. Tout en nourrissant le dialogue et en co-construisant avec les acteurs du secteur, il doit également être l’arbitre, le garant de cet « intérêt général » que je mentionnais précédemment. Après tout, n’est-ce pas cette dialectique subtile qui est attendue de l’Etat ?

Mais ce rôle actif n’est pas seulement l’apanage des protagonistes étatiques. A ce titre, il me paraît intéressant d’insister sur le caractère dynamique des missions revenant au CNM. Ainsi, je présenterai ultérieurement deux amendements visant, d’une part, à inscrire, dans le texte, la mission prospective du futur centre national de la musique ; d’autre part, à préciser que l’observatoire de l’économie du secteur musical est parallèlement un observatoire de la donnée.

En effet, la data est aujourd’hui au cœur de l’économie numérique ; elle est la ressource principale de l’Economie du XXIème siècle, comme le charbon fut celle du XIXème. Or, dans la sphère musicale, les données recueillies sont foisonnantes et peuvent indiquer des comportements, des goûts, esquisser le portrait d’un utilisateur. Elles sont donc précieuses et ont une valeur économique indéniable. C’est la raison pour laquelle, il me semble probant de spécifier que l’observatoire de l’économie est de plus un observatoire de la donnée.

Au fondement de la chaîne de valeur de la filière musicale, réside l’acte de création ; et au fondement de la création artistique, se trouve l’artiste. Disons-le, j’ai été extrêmement surprise de noter que l’artiste, en tant que tel, ne figure nullement dans la proposition de loi. Certes, il est suggéré, implicite dans les dispositifs qui lui sont dédiés ; mais il reste néanmoins invisible. Comment imaginer que le texte fondateur du CNM oublie celui grâce auquel il existe ?

C’est invraisemblable. Rendre expressément l’artiste visible, c’est donner sa pleine mesure au CNM. C’est intégrer en son sein celui qui lui octroie tout à la fois son sens et sa vitalité ; c’est plonger simultanément dans sa source et vers son horizon. Car à quoi servirait la maison commune si l’artiste, objet de toutes les discussions, restait, au final, sur le palier ?

Afin de remédier à cette mégarde, je vous soumettrai un amendement qui rappelle que le CNM a pour rôle de mettre en lumière l’artiste, tout en respectant ses droits –une référence à la loi relative à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine de 2016. J’aurais aimé aller plus avant sur ce sujet, en proposant une expérimentation ayant pour finalité d’aider directement les auteurs, compositeurs, artistes et éditeurs de musique dans trois régions volontaires, via un fonds de soutien à la création musicale. Peut-être, Monsieur le ministre, pourriez-vous reprendre à votre compte cette idée et pallier ainsi le vide actuel en matière d’aides directes à la création ?

Quelques minutes auparavant, j’évoquais l’éminente ambition que sous-tend le projet du CNM. Cependant, qui dit « éminente ambition » dit éminent financement. Alors, je sais que le débat a été évacué au prochain projet de loi de finances ; mais tout de même … Il est bien délicat de créer une nouvelle structure, de réfléchir à l’étendue de ses missions, sans avoir de prise sur l’étendue de son financement.

A cet égard, j’aimerais effectuer une brève incise. Si dans cette assemblée, nous écrivons la loi, nous parlons aussi politique. Et je regrette fortement que de plus en plus d’amendements d’appel, qui permettent d’interroger le Gouvernement sur ses intentions et de contrôler son action, rôle fixé par la Constitution au demeurant, soient déclarés irrecevables. A une lecture rigoureuse de l’article 40 de la Constitution, devrait répondre une lecture souple de l’article 45 ; ce n’est pas une question purement juridique, c’est une question d’équilibre démocratique.

En l’espèce, quand il relève de la gageure d’émettre des amendements budgétaires et que de surcroît, il est décidé qu’il est impossible d’aborder la thématique du financement de la filière musicale, quels leviers nous reste-t-il, en tant que parlementaires, pour discuter du financement du futur CNM ?

Et pourtant ! Le financement est l’un des enjeux majeurs -pour ne pas dire l’enjeu numéro un. Aujourd’hui, il est la condition de réussite du CNM. Si nous bâtissons une maison commune chatoyante sous tous aspects, mais que les fondations s’avèrent brinquebalantes, que se passera-t-il ? La réponse va de soi…

Monsieur le ministre, je crois que nous sommes unanimes dans cet hémicycle à ne vouloir à aucun prix que le CNM soit une vaste coquille vide, une demeure hospitalière et prometteuse, mais vouée à l’abandon. Pour éviter ce funeste dessein, il se révèle donc impératif que les financements soient à la hauteur. Le rapport Cariou-Bois évaluait à 20 millions d’euros le montant nécessaire afin d’amorcer le lancement du CNM ; ce sont finalement 5 millions d’euros, qui plus est en crédits de gestion, qui ont été laborieusement trouvés.

Dans la perspective du projet de loi de finances pour 2020 (PLF), je serai extrêmement vigilante. J’espère que l’apport de l’Etat sera revu à la hausse et que les crédits seront inscrits réellement dans le PLF, dans un souci de sincérité et de transparence budgétaires.

En outre, il me paraît indispensable d’aller au-delà dans la réflexion. Le fléchage partiel des recettes de la TOCE et de la taxe YouTube, en plus d’être légitime au regard des contenus visés par ces taxes, serait de nature à assurer un financement pérenne du CNM et à donner de la visibilité aux acteurs qui y participent.

D’ailleurs, en termes de visibilité, j’entends proposer, lors du prochain PLF, l’élaboration d’un financement pluriannuel sur trois années du CNM, assis sur une convention d’objectifs et de moyens. Cette méthode doit permettre une montée en charge progressive de l’établissement ainsi que d’adapter les dispositifs aux mutations rapides que connaît le secteur musical. C’est tout le sens du CNM.

Le Centre national de la musique est un magnifique projet qui doit maintenant voir le jour ; mais ni au prix d’une ambition minime, ni au prix d’un financement incertain. Des inquiétudes, des craintes légitimes sont exprimées par les acteurs de la filière. Il est par conséquent urgent que vous y répondiez, Monsieur le ministre, afin d’apaiser le climat et d’entrer sereinement dans la phase de concrétisation ; car comme annoncé en préambule de cette intervention, le CNM, c’est maintenant ou jamais !

Je vous remercie.

COMMUNIQUE DE PRESSE : POUR LA CREATION D’UN CENTRE NATIONAL DE LA MUSIQUE REELLEMENT FINANCÉ

Le Sénat a adopté à l’unanimité la proposition de loi relative à la création du Centre national de la musique (CNM). Attendu depuis des années, le CNM a vocation à rassembler l’ensemble de la filière musicale, l’Etat restant néanmoins actionnaire majoritaire du futur établissement.

Outre le soutien au secteur professionnel, cette « maison commune » de la musique doit entre autres favoriser le rayonnement international des artistes et participer à la structuration de la filière. Au cours de la discussion, j’ai porté plusieurs amendements qui ont été adoptés, notamment la prise en considération des nouveaux usages numériques, le respect des droits culturels, le renforcement des liens avec les collectivités territoriales…

Pour autant, si je me réjouis de la création du CNM, j’ai fortement attiré l’attention du ministre sur la gouvernance de l’établissement ainsi que sur la nécessité absolue de lui accorder un financement pérenne et à la hauteur des enjeux et de l’ambition souhaitée. Le PLF 2020 sera ainsi déterminant.