INTERVENTION DÉBAT ATTRACTIVITÉ DE LA FRANCE POUR LES ETUDIANTS ÉTRANGERS

Monsieur le Président,
Madame la ministre,
Mes chers collègues,

Le titre II du livre premier du code de l’éducation est limpide. Le service public de l’enseignement supérieur « veille à favoriser l’inclusion des individus sans distinction d’origine, de milieu social et de condition de santé », « contribue à l’attractivité et au rayonnement des territoires aux niveaux local, régional et national », « assure l’accueil des étudiants étrangers, en lien avec le réseau des œuvres universitaires et scolaires » et « veille à la promotion et à l’enrichissement de la langue française ».

Or, l’annonce par le Gouvernement, il y a quelques semaines maintenant, de l’augmentation des frais d’inscription à l’université des étudiants étrangers hors UE fait légitimement craindre une remise en cause des missions et des objectifs dévolus au service public de l’enseignement supérieur ; et ce, d’autant plus que la multiplication par plus de quinze de ces droits n’a fait l’objet d’aucune étude d’impact ni d’aucune concertation, que ce soit avec les premiers concernés, en l’occurrence la communauté universitaire et les syndicats étudiants, ou avec la représentation nationale.

Une nouvelle fois, cette mesure, aux incidences potentiellement lourdes et pluridimensionnelles, a été soudaine et, disons-le, brutale. Dans ce contexte, il n’est guère surprenant que les présidents d’université et les étudiants se soient mobilisés et aient exprimé, parfois vertement, leur désaccord, réclamant notamment un moratoire. Ici, je rappellerai seulement qu’une quarantaine de présidents se sont déclarés contre cette hausse et qu’un mouvement de « désobéissance universitaire » s’est fait jour, plusieurs conseils d’administration ayant d’ores et déjà précisé qu’ils n’appliqueront pas le décret.

Pour notre part, le groupe socialiste et républicain a souhaité demander l’inscription d’un débat sur la politique d’attractivité de la France à l’égard des étudiants étrangers extracommunautaires afin que le Parlement puisse se saisir de cette problématique fondamentale et vous interroger, Madame la ministre, pour obtenir des réponses que nous espérons argumentées.

Alors, commençons par le commencement. En écoutant la présentation du plan « bienvenue en France », la première interrogation qui m’est venue à l’esprit est « pourquoi » ; pourquoi décider d’un accroissement des frais d’inscription dans le supérieur en vue d’attirer davantage d’étudiants étrangers ? Ou plus justement, en quoi augmenter ces frais améliorera l’attractivité de la France ?

Vous conviendrez aisément que le raisonnement est a priori contre-intuitif, a fortiori quand est connue l’origine des étudiants internationaux venant étudier en France –près de la moitié sont du continent africain- et qu’il s’avère que près de 40% de l’ensemble des étudiants reconnait avoir dû « faire des sacrifices financiers » pour concrétiser l’opportunité d’étudier dans l’hexagone. Pour beaucoup, poursuivre ses études en France est une chance ainsi qu’une joie, mais aussi un effort financier important. Il ne faut pas oublier cette réalité.

D’ailleurs, intéressons-nous à cette réalité. Le baromètre de Campus France sur l’image et l’attractivité de la France auprès des étudiants étrangers, qui date de 2018, prodigue des enseignements qui vont précisément à l’encontre de votre postulat, Madame la ministre. Premièrement, les freins principaux mentionnés sont le coût global de la vie (comprenant celui des études), les complexités administratives, liées à la délivrance des visas en particulier, et les difficultés d’accès à un premier emploi après les études.

A l’inverse, les raisons premières qui motivent le choix des étudiants étrangers sont la qualité de l’enseignement dispensé (pour près d’un étudiant sur deux), la langue et le rayonnement culturel de la France et … la maîtrise du coût des études, en forte hausse par rapport à la précédente analyse.

En d’autres termes, la stratégie « marketing » du Gouvernement, qui consiste à augmenter les droits d’inscription à l’université en estimant qu’un coût plus élevé serait gage d’une formation d’un niveau supérieur, semble complètement déconnectée des motivations qui président à la décision des étudiants internationaux de venir en France.

Pire, elle renforce la barrière économique, relative au coût de la vie et des études, et revient sur un avantage comparatif de la France par rapport au modèle anglo-saxon où les études supérieures sont onéreuses. Pour de nombreux jeunes, l’accessibilité de l’université française est un critère décisionnel majeur ; si la France occupe une position enviable à l’échelle mondiale (4ème position et 1ère position hors pays anglophones, avec 300 000 étudiants étrangers), c’est aussi parce qu’elle ne s’inscrit pas dans le schéma anglo-saxon, qu’elle apparaît comme un contre-modèle, abordable et de qualité.

Madame la ministre, je ne crois absolument pas que libéraliser l’accès à l’enseignement supérieur pour les étudiants étrangers hors UE sera source d’attractivité et permettra d’atteindre votre objectif de 500 000 étudiants d’ici 2027. Au contraire, eu égard à la structure des étudiants étrangers dans le supérieur français, l’effet d’éviction risque d’être massif ; et ce n’est aucunement l’octroi de 30 000 bourses, qui représentent à peine 6% de l’objectif que vous vous êtes fixée, qui compensera cet effet. En revanche, vous impacterez leur provenance et provoquerez une substitution partielle, tendant à « attirer les étudiants les plus riches et, en même temps, à écarter les plus pauvres » -une politique qui a des échos particulièrement familiers à l’heure actuelle…

D’autre part, comme le révèle le baromètre de Campus France, le premier facteur d’attractivité demeure la qualité de la formation. Or, cette dernière nécessite des ressources pédagogiques substantielles et oblige à créer et à adapter en permanence les contenus afin qu’ils soient en adéquation avec les transformations de la société, aujourd’hui multiples et très rapides sous l’effet du numérique.

Par conséquent, les universités ont besoin de moyens humains et financiers pour développer des filières attractives, spécifiques et reconnues. Pour le Gouvernement, la hausse des frais d’inscription des étudiants extra-communautaires est une manière d’accroître les ressources propres des établissements ; mais n’est-elle pas également le signal d’un désengagement à venir de l’Etat pour le financement du service public de l’enseignement supérieur ? Quelles garanties offrez-vous, Madame la ministre, afin que cette mesure n’ait pas pour corollaire une baisse égale du budget de l’Etat alloué aux universités qui provoquerait un renforcement des disparités entre celles-ci ? Ce mouvement de privatisation des ressources des structures publiques et parapubliques est à l’œuvre dans bien d’autres domaines (cf. les CCI).

Par ailleurs, la question de l’attractivité est intimement reliée à celle de l’accueil, d’autant plus que les étudiants internationaux sont nombreux à pointer du doigt le maelstrom administratif et le coût de la vie en France. S’il est heureux que l’exécutif ait prévu de simplifier la politique de visas dans le cadre du plan « bienvenue en France », il est profondément regrettable que si peu ait trait au quotidien des étudiants étrangers, singulièrement au logement qui est un défi budgétaire pour beaucoup d’entre eux. Malheureusement, il y a encore un décalage sidéral entre le réel et la vision du Gouvernement.

Enfin, évoquer l’attractivité d’un pays, c’est aborder son image et plus profondément sa consistance, ce qu’est son « âme ». Il est tellement significatif que la culture et le patrimoine français soient le deuxième motif invoqué par les étudiants étrangers pour justifier leur choix de venir en France. Malgré l’actualité brumeuse de ces dernières années, la France a continué à être perçue comme accueillante et attractive.

Or, je crois que l’impact le plus négatif réside dans cette image de la France qui se trouve écornée par la volonté du Gouvernement d’augmenter les frais d’inscription, notoirement dans son aire d’influence : la francophonie. Il n’y a qu’à tendre l’oreille et à écouter les réactions des étudiants internationaux fréquentant actuellement les bancs des facultés françaises pour s’en convaincre. Beaucoup d’incompréhension, beaucoup de déception et beaucoup d’amertume.

La tradition d’ouverture de l’Université française, pourtant séculaire, est mise à mal ; et à travers cela, c’est le fondement philosophique même de notre identité politique, l’égalité républicaine, l’accès universel aux savoirs et aux connaissances indépendamment des conditions matérielles initiales, qui est attaqué. Sur ce point, la France doit tout simplement rester elle-même, sans chercher à entrer dans la logique anglo-saxonne, car c’est à la fois son honneur, sa singularité et sa force d’attractivité.

Les étudiants étrangers d’aujourd’hui sont les futurs ambassadeurs itinérants de la France. Afin qu’ils soient encore plus nombreux à recommander notre pays – près de 9 sur 10 le font à leur départ, améliorons les conditions d’accueil, mais n’envoyons surtout pas le message que la France ne serait réservée qu’à certains.

J’espère, Madame la ministre, que vous reviendrez sur votre mesure et que le principe d’autonomie des universités ne servira pas de paravent au Gouvernement pour se départir de sa responsabilité, y compris sur le plan diplomatique.

Je vous remercie.