INTERVENTION DEBAT LE FONCTIONNEMENT DES UNIVERSITES EN TEMPS COVID ET LE MALAISE ETUDIANT
9 MINUTES

Monsieur le Président,
Madame la Ministre,
Mes chers collègues,

Dès juin dernier, la sociologue Anne Lambert alertait sur la gravité spécifique de la crise pour les jeunes. A la fois révélatrice des maux et des inégalités qui les frappent depuis de nombreuses années, elle les décuple au point de dégrader plus encore les conditions d’insertion dans la vie d’adulte.

La préconisation se révèle alors sans appel : « on a longtemps pensé que l’âge de la jeunesse pourrait ouvrir l’éventail de la reproduction sociale et élargir l’espace des possibles : cette illusion tombe, les cartes ne sont pas rebattues. Pour aider les jeunes, et notamment les plus précaires, il faut une réponse massive et d’envergure de la part des pouvoirs publics ».

Cette « réponse massive et d’envergure », notre groupe l’appelait déjà de ses vœux, lors du débat sur les politiques publiques en faveur de la jeunesse, qui avait eu lieu l’été dernier, dans cet hémicycle. Si les termes de la discussion ont quelque peu changé, puisque vous avez décidé, mes chers collègues, de placer la focale sur « le fonctionnement des universités et le malaise étudiant », les conclusions, bien qu’actualisées, risquent fort d’être similaires.

Quant aux constats, si nous pressentions bien plus que nous mesurions l’impact désastreux de la crise sur les jeunes à l’époque, désormais, les effets sont visibles, quantifiables et analysables, de sorte qu’il est impossible d’ignorer l’urgence d’agir. Autrement dit, il existe une forme de continuité dans ce « malaise étudiant », mais une discontinuité manifeste dans son ampleur, et donc dans les remèdes à apporter, qui m’amène plutôt à le caractériser comme une « détresse » étudiante.

Ainsi, aux trois cassures pédagogique, économico-sociale et psychologique du premier confinement, y répondent aujourd’hui trois risques de rupture identiques.

En premier lieu, la rupture académique peut encore être évitée en s’assurant que l’année universitaire 2020-2021 ne soit pas une année blanche. Il s’agit d’appliquer le mantra selon lequel « il faut sauver le second semestre » et permettre à tous les étudiants d’être, au maximum et en fonction de la circulation du virus, en présentiel.

La jauge, actuellement fixée à 20%, soit un jour par semaine, est un premier pas ; mais il est primordial que ce ne soit pas le dernier. En cas d’amélioration sanitaire, il s’avère essentiel de pouvoir l’augmenter très rapidement. C’est pourquoi, nous recommandons d’élaborer, dès à présent et dans le dialogue avec les universités, différents scénarios suivant un principe simple : plus l’intensité de l’épidémie est faible, plus la jauge peut être accrue dans une limite fixée au préalable, et ce, afin de maximiser le temps en présentiel des étudiants, notamment celui des premières années -songeons que certains, n’ont pas encore pu échanger avec leurs professeurs de visu !

En anticipant, nous leur donnons, ainsi qu’aux universités, perspectives et visibilité -ce qui leur manque terriblement aujourd’hui. Mieux, nous permettons aux établissements d’être plus réactifs, puisqu’ils pourront mécaniquement adapter la jauge à la propagation du Covid sans complexité administrative ni perte de temps préjudiciables. Dans cette même optique, décaler le calendrier universitaire du second semestre pourrait être une solution pertinente.

Dorénavant, toute souplesse supplémentaire, toute heure supplémentaire en présentiel est précieuse. La « course contre-la-montre » n’est pas seulement contre le virus, elle est aussi contre la rupture pédagogique et son corollaire : le décrochage.

Par ailleurs, un point d’achoppement demeure : que se passera-t-il en cas de reconfinement ? Nous confirmez-vous, Madame la ministre, que les universités fermeront et qu’il ne sera plus recouru au présentiel ? Vous imaginez, sans difficulté, la crainte qu’engendre un tel retour en arrière, et nous demandons, en conséquence, à ce que des modalités en présentiel soient garanties et discutées avec les universités (es-tu d’accord ?).

Enfin, sans prétendre à l’exhaustivité, trois problématiques se posent avec acuité pour le second semestre :

  • la nécessité d’un cadre pour les évaluations, par-delà les incitations et les incantations. Les étudiants ont besoin d’un cadre stabilisé, protecteur et rassurant, qui tienne compte du contexte actuel et ne soit pas générateur de stress ni d’angoisse, comme cela a malheureusement pu être le cas lors du premier semestre ;
  • la nécessité de réfléchir à un mécanisme compensatoire pour les étudiants qui n’auront pas pu réaliser leur stage ;
  • la nécessité de soutenir les enseignants et enseignants-chercheurs qui, pour beaucoup, ont mis entre parenthèses leurs travaux de recherche, ce qui accentue le risque de décrochage de la recherche française.

La deuxième rupture est d’ordre économico-social. La précarité étudiante n’est plus un risque ; elle est évidente et devient même alarmante. Pour s’en convaincre, il suffit de constater les longues files d’attente aux épiceries solidaires et aux CROUS pour la distribution des repas à 1 euro. Des phénomènes, jusque-là considérés comme marginaux, prennent une dimension considérable et inacceptable, à l’image de la précarité menstruelle qui toucherait une étudiante sur trois.

Au fond, l’évolution est en miroir de celle que traverse la société dans son ensemble. Des étudiants qui n’étaient pas dans une situation financière délicate avant la crise sont en train de tomber dans une trappe à pauvreté. Deux publics en particulier semblent de plus en plus vulnérables : les étudiants internationaux et ceux dont les familles sont juste au-dessus des seuils.

Alors, votre Gouvernement s’efforce de réagir, Madame la ministre. Néanmoins, les acteurs de terrain et les syndicats étudiants nous font remonter deux écueils principaux :

  • le premier a trait à l’absence de stratégie globale pour lutter contre la précarité étudiante. Si les aides ponctuelles sont bienvenues, elles ne constituent pas une réponse durable et synoptique au défi actuel. Leur caractère « ponctuel » et éclaté apparaissent en décalage avec le nécessaire accompagnement financier, sur le temps long, dont ont besoin nombre d’étudiants, y compris ceux à la recherche d’un premier emploi. Sur ce point, nous aurions aimé que vous ne supprimiez jamais l’aide à la recherche du premier emploi créée sous le quinquennat précédent -mais il le fallait, car c’était l’Ancien Monde ! Pourtant, vous y revenez maintenant !
  • le second écueil porte sur la mise en œuvre des mesures annoncées, singulièrement sur les lourdeurs administratives qui peuvent limiter le recours aux aides d’urgence. Comme pour d’autres domaines, il est urgent de simplifier les procédures et, en l’occurrence, d’aller chercher les étudiants plutôt que d’attendre qu’ils viennent vers les services.

Nous ne pouvons ni accepter ni nous résoudre à cette paupérisation croissante des étudiants et des jeunes ! Nous ne voulons pas que notre jeunesse soit exsangue au sortir de la crise. Par conséquent, nous préconisons d’agir sur deux échelles :

  • à court terme, en revalorisant les bourses, en simplifiant l’ensemble des procédures relatives aux aides d’urgence, dont les procédures d’autonomie avérée, et en suspendant, sans délai, la réforme des APL pour les étudiants qui y perdent, principalement ceux en contrat de professionnalisation. Il est inconcevable et incompréhensible, dans une période aussi tragique pour nos jeunes, qu’une réforme plonge certains d’entre eux plus encore dans la précarité et le désarroi. Vous rendez-vous compte, Madame la ministre ? Vous donnez l’impression de reprendre d’une main ce que vous donnez de l’autre. C’est une faute politique majeure ! Réparez-la au plus vite !
  • à plus long terme, et plus structurant, nous réitérons notre demande d’ouvrir le bénéfice du revenu de solidarité active dès 18 ans, conformément à la proposition de loi déposée par notre groupe, et de mener une consultation approfondie pour la mise en œuvre d’une allocation d’autonomie pour chaque jeune. Que cette crise nous permette, au moins, de repenser l’émancipation et l’insertion dans la vie active de notre jeunesse !

La rupture psychologique dérive des deux précédentes ; elle en est la conséquence directe. Passez-moi l’expression, mais les chiffres « font froid dans le dos » : près de 800 000 étudiants présenteraient un état de souffrance psychique, 11,4% des 70 000 étudiants interrogés par le Centre national de ressources et de résilience ont eu des idées suicidaires -et que dire des drames survenus de ces dernières semaines…

L’isolement pesant depuis près d’un an, l’amoncellement des difficultés, qu’elles soient financières, sociales, académiques ou administratives finissent par fragiliser dangereusement la santé mentale des étudiants. Il faut aussi préciser que l’épidémie actuelle révèle au grand jour les failles de notre système de soins, qui a toujours été tourné davantage vers le curatif que le préventif. Or, les manques de notre politique de prévention se font aujourd’hui ressentir.

Outre le renforcement et la pérennisation des moyens dévolus à la médecine universitaire -BAPU et SSE notamment, il convient, une nouvelle fois, de veiller à l’opérabilité des mesures déployées. En ce qui concerne le « chèque-psy », il faut impérativement que le dispositif soit simple d’accès pour l’étudiant. D’autre part, les professionnels nous ont alertés sur l’absolue nécessité de ne pas le limiter à 3 consultations, le suivi psychologique de l’étudiant requérant, bien souvent, plus de rendez-vous. Etes-vous disposée, Madame la ministre, à rehausser ce plafond ?

De manière analogue, la mise en place progressive des « tuteurs » dans les universités doit être drastiquement assouplie et simplifiée. En l’état, l’obligation d’effectuer, pour chaque étudiant volontaire, entre 10 et 15h de tutorat chaque semaine, restreint considérablement l’efficacité de la mesure. Rappelons que ces étudiants, dont l’engagement est remarquable, doivent assurer, en parallèle, la poursuite de leur cursus.

Nous retrouvons ainsi les mêmes insuffisances : n’établissez pas de critères trop restrictifs, Madame la ministre ; n’alourdissez pas les procédures inutilement au point de rendre inefficace le dispositif. Faites confiance aux universités ! Laissez-leur plus de souplesse et de latitude pour qu’ils puissent s’en saisir convenablement et lui donner sa pleine portée.

En conclusion, j’aimerais souligner qu’au regard des efforts des étudiants, et plus globalement de notre jeunesse qui a accepté de mettre sa vie entre parenthèses pour protéger les plus vulnérables, nous leur sommes profondément redevables. Et cette obligation, ce devoir collectif va aller au-delà de la crise sanitaire ; la réparation que nous leur devons s’inscrira dans une durée bien plus longue et devra être à la hauteur de leur abnégation.

Ce sera notre exigence, que j’espère commune ; cette exigence de se souvenir, cette exigence d’une réparation juste, cette exigence de composer de nouveaux espoirs. L’esprit de responsabilité dont ils font preuve aujourd’hui devra être le nôtre demain !