INTERVENTION PPL VISANT À CONFORTER LA FILIERE CINEMATOGRAPHIQUE EN FRANCE – 9 MINUTES

Monsieur le Président,
Madame la ministre,
Mes chers collègues,

L’excellent rapport de nos collègues Jérémy Bacchi, Céline Boulay-Espéronnier et Sonia de la Provôté, qui sert de soubassement à cette proposition de loi, s’interrogeait sur l’année 2023, « pleine de dangers », dans un contexte post-pandémique. Au final, la fréquentation a progressé de près de 20% -18,9%- par rapport à 2022, 181 millions d’entrées ayant été comptabilisées.

Certes, certains soulignent que les niveaux de la décennie d’or (années 2010) n’ont pas été atteints ; néanmoins, la reprise s’avère sensible et réelle, alors même que la plateformisation de l’audiovisuel et du cinéma s’est accentuée, sur fond de concurrence exacerbée et de course à la production de contenus. Le retour en salle des spectateurs semble donc contredire le discours actant le déclin irrémédiable du septième art. Mieux, le cinéma apparaît de plus en plus irremplaçable et ancré dans les habitudes culturelles, y compris celles des plus jeunes -en 2022, les 15-24 ans constituaient le 2ème public en termes d’entrées. Le cinéma, comme lieu et comme expérience, loin de s’envoler, s’enracine.

La finalité de cette PPL est précisément de conforter l’ensemble de la filière cinématographique française, tout en veillant à réduire les disparités territoriales en matière d’accès au cinéma.

Le premier levier pour y parvenir vise à assouplir certaines procédures qui n’apparaissent plus nécessaires et qui tendent à entraver inutilement le travail des exploitants et du centre national du cinéma (CNC). Ainsi, l’autorisation d’opérations promotionnelles sur les ventes de billets en ligne et la suppression de l’agrément du CNC pour les cartes illimitées, proposition qui figure dans le rapport Cinéma et régulation de 2023, se révèlent pleinement indiquées. Elles offrent de nouvelles opportunités sans pour autant déséquilibrer le marché existant.

Plus spécifiquement, si à l’origine les cartes illimitées suscitaient de vives craintes quant à leur impact sur la concurrence et sur l’équilibre entre exploitants et distributeurs, aujourd’hui, celles-ci sont dissipées. Les deux principes cardinaux posés par le législateur afin de les réguler sont sanctuarisés. Il s’agit :

  • d’une part, de l’établissement d’un prix de référence par billet acquis via une carte pour assurer une juste rémunération des ayants droit ;
  • d’autre part, de la faculté offerte aux exploitants indépendants d’adhérer à ces formules.

En somme, la régulation des cartes illimitées perdure, mais leur déploiement est simplifié.

Par ailleurs, nous ne pouvons que nous réjouir de la prise en compte de deux impératifs au sein de l’article 6 : la protection environnementale et la rémunération des auteurs. Même si les dispositions diffèrent, elles s’apparentent à une conditionnalité, ou tout du moins à une modulation, des aides et du financement de la création par le CNC au respect d’exigences environnementales et d’une rémunération minimale des auteurs. C’est un excellent premier pas dont il conviendra d’évaluer l’effectivité a posteriori.

Rappelons que l’industrie cinématographique, malgré sa prise de conscience croissante et les efforts qu’elle a entamés, demeure une entreprise polluante. A titre d’illustration, aux Etats-Unis, elle est la 2ème industrie la plus polluante après l’industrie pétrolière ; dans la même perspective, une étude de 2022 du collectif Ecoprod estimait à 1,7 million de tonnes carbone par an la pollution générée par l’industrie de programmes.

Il est donc urgent d’accélérer l’adaptation de l’industrie cinématographique aux enjeux écologiques, pour diminuer son bilan carbone notamment, et de valoriser les bonnes pratiques -à l’instar de la série Lupin où des générateurs d’hydrogène ont été utilisés pour l’éclairage extérieur. En parallèle, les pouvoirs publics doivent accompagner les acteurs dans cette transition écologique.

En outre, la conditionnalité des aides à la production au respect des accords sur la rémunération minimale des auteurs est une excellente mesure. Les auteurs sont au fondement même de la création, et les rapports sur leur situation et leur précarité ne peuvent se succéder sans que nous n’agissions concrètement. Il faut se souvenir que la grève qui a paralysé Hollywood pendant 6 mois en 2023 avait précisément pour point de départ l’insuffisante rémunération des auteurs et leur insatisfaction sur le partage de la valeur, sur fond d’inquiétudes relatives à l’utilisation dérégulée de l’intelligence artificielle.

Désormais, je souhaite aborder le volet territorial de la PPL, intrinsèquement lié à l’objectif d’accessibilité de la Culture, et qui a trait à la diffusion des films art et essai. En 2022, les salles classées art et essai représentaient près de 37% de la fréquentation totale des cinémas. De plus, en 2019, le top 10 des films art et essai totalisait 9,3 % des entrées en France, mais seulement 9,4 % des entrées des cinémas d’art et d’essai ; ce qui témoigne de l’impact extrêmement positif du dispositif en faveur de la visibilité des films au potentiel commercial moins évident et, partant, en faveur de la diversité culturelle. C’est une richesse infinie qui concourt à la fois à la valeur de notre cinéma, mais aussi à celle de notre système d’aides publiques. Il s’avère donc impérieux de la préserver.

C’est en ce sens que certaines critiques, parfois retentissantes, ont été émises tant sur le classement des cinémas que sur le degré de sélectivité des films. A cet égard, le rapport Lasserre esquisse quelques pistes, en particulier pour revoir la politique de recommandation, en prenant en compte le potentiel commercial des films art et essai par exemple-préconisation que vous formulez d’ailleurs chers collègues. Par conséquent, afin de renforcer la diversité culturelle, tout en conciliant sélectivité et universalisme du système, notre commission aurait intérêt à poursuivre ses travaux. L’enjeu est fondamental.

Parallèlement, dans votre rapport, vous mettez en évidence les inégalités territoriales qui caractérisent la diffusion des films art et essai. En 2021, les cinémas des unités urbaines de 50 000 habitants étaient largement majoritaires, à près de 60%, dans le plan de sortie de ces films. Cette propension est d’autant plus forte que le film est diffusé dans peu de salles. Sans surprise, il s’ensuit que le public de ces œuvres est généralement plus plus urbain.

Et c’est à cet endroit que le bât blesse ! Pouvons-nous accepter que la diffusion des films art et essai, singulièrement lorsqu’ils portent une exigence revendiquée, soit concentrée sur les territoires urbains ? Naturellement, la réponse est négative ! Derrière cette problématique, c’est la question de l’accessibilité à la Culture qui est posée.

Je n’opposerai aucunement films grand public et films art et essai ; ensemble, ils constituent une offre complémentaire. En revanche, les habitants des territoires ruraux, des territoires enclavés ont le droit d’avoir accès à l’un et à l’autre. Ils n’ont pas à être pénalisés parce qu’ils seraient éloignés d’un centre urbain ou parce que la rentabilité économique de la diffusion serait jugée parcimonieuse. L’accès au cinéma, l’accès à tous les genres, l’accès au renouveau artistique, l’accès à la novation esthétique sont des motifs d’intérêt général ; ils participent de l’élargissement et de l’approfondissement culturels.

C’est pourquoi, nous soutenons vivement l’article 4 qui vise à garantir une diffusion « équilibrée » des films art et essai sur le territoire national -même si, à titre personnel, je serai particulièrement vigilante à la lettre du décret qui sera déterminante pour définir la portée et l’effectivité du dispositif.

Pour finir sur ce point, j’aimerais insister sur le rôle essentiel de la médiation culturelle, de l’éducation au cinéma, à l’image pour comprendre, décrypter, sensibiliser et donner le goût des films art et essai. Plus elles commencent tôt, plus les chances d’aiguiser la curiosité, de susciter une envie, voire une passion, sont grandes. Ainsi, les dispositifs mis en place dans le cadre scolaire à la fin des années 80 et au début des années 90 ont fait leurs preuves : des millions d’élèves ont pu découvrir des films patrimoniaux, indépendants, et ont pu aborder des thèmes contemporains, parfois délicats, sous un angle moins traditionnel.

Or, depuis les annonces du précédent ministre de l’Education nationale, l’éducation au cinéma est menacée. Il n’y a pas de volonté d’y mettre fin, mais les effets de bord de la réforme sur la formation des enseignants et de la politique en matière de remplacements ont abouti à grandement fragiliser l’éducation au cinéma.

Les professeurs n’ont plus le temps de se former et n’ont plus la possibilité de se déplacer en salle avec leurs classes. Pour preuve, les deux rectorats qui ont appliqué stricto sensu les directives ont vu le nombre d’élèves bénéficiant de l’éducation à l’image et au cinéma être divisé par… deux ! C’est brutal et vertigineux. Il est donc indispensable d’anticiper dans la perspective de la future rentrée scolaire. Madame la ministre, avez-vous pris attache avec votre collègue de l’Education nationale pour trouver une solution qui préserve l’éducation à l’image et au cinéma à l’Ecole ? Le temps presse !

Pour conclure, avec ce texte législatif, le Sénat clôt une belle séquence sur le cinéma, après l’adoption définitive de la PPL socialiste visant à préserver les établissements cinématographiques en outre-mer. Il est certain que d’autres phases sont à venir : la révision de la chronologie des médias début 2025, la découvrabilité et la mise en valeur des œuvres françaises et européennes sur les plateformes, la protection de notre patrimoine cinématographique ou encore le soutien à la production de documentaires et de films indépendants.

(« Si nous devons nous résigner à vivre sans la beauté et la liberté qu’elle signifie, le mythe de Prométhée est un de ceux qui nous rappelleront que toute mutilation de l’homme ne peut être que provisoire et qu’on ne sert rien de l’homme si on ne le sert pas tout entier. S’il a faim de pain et de bruyère, et s’il est vrai que le pain est le plus nécessaire, apprenons à préserver le souvenir de la bruyère », cette « bruyère » qui peut prendre la forme d’un film, d’une scène, d’une image, d’un dialogue ou d’un récit, tout simplement d’une émotion imprégnée en nous.)