INTERVENTION QUEL BILAN POUR PARCOURSUP ?
9 MINUTES

Monsieur le Président,
Madame la ministre,
Mes chers collègues,

Essayer de tirer un bilan constructif de Parcoursup conduit à éviter deux écueils : un optimisme débridé devant la capacité de l’outil à apparier un nombre important d’étudiants avec de multiples formations, sans même questionner la pertinence de cet appariement -logique quantitative ; à l’inverse, une critique sans mesure, qui tend à confondre l’algorithme Parcoursup avec la procédure Parcoursup. En somme, éviter tout manichéisme.

J’aborderai donc ce débat à travers une problématique générale : de quoi Parcoursup, de par ses sous-jacents, ses modalités et ses implications, est-il le révélateur en matière d’orientation des jeunes ?

Si nous nous référons à la loi originelle de 2018, la création de Parcoursup répondait à un double objectif : mieux orienter pour garantir la réussite des étudiants -l’orientation étant la condition sine qua non de la réussite.

Or, en l’état, je crois que Parcoursup révèle la prédominance d’une conception de l’orientation : celle de l’appariement, celle de la gestion urgente des flux étant donné la démographie estudiantine. Conséquence directe, les étudiants n’ont plus nécessairement le choix de leur orientation. Ils peuvent le subir, en particulier lorsqu’ils se destinent aux filières en tension. Leur liberté de choix devient alors conditionnelle. C’est une réalité que notre groupe politique n’a eu de cesse de dénoncer et qui va à rebours de ce que préconisait le CESER par exemple, dans son rapport de 2018 sur l’orientation des jeunes.

Il n’est pas admissible que le manque de places dans certaines formations contraigne des étudiants à accepter des choix éloignés de leur vœu premier. Malheureusement, mécaniquement, cette tendance est aussi de plus en plus prégnante à l’entrée en master -ce sera un de nos points de vigilance lors de la rentrée 2023.

Ainsi, Parcoursup révèle l’institutionnalisation d’une sélection partielle à l’entrée dans le supérieur pour endiguer la pénurie de places résultant du manque de moyens budgétaires. Pour la justifier, certains ont avancé qu’il valait mieux cette sélection que l’échec qui prévalait en licence auparavant ; je répondrai que ni la généralisation de l’échec ni la généralisation de la sélection ne sont souhaitables. Et s’il était insatisfaisant de se reposer uniquement sur le principe d’égal accès au supérieur sans œuvrer concrètement à la réussite de chaque étudiant.e, il est tout autant inacceptable de fermer, a priori, les portes de certaines filières censées être ouvertes à toutes et tous. Dans les deux cas, mais pas selon les mêmes logiques, il est contrevenu à l’idéal républicain.

Dès lors que la sélection est de mise, l’enjeu de son acceptabilité par les candidat.es devient central. C’est pourquoi, l’évolution vers le système Parcoursup a entraîné des transformations, parfois positives, dans les modalités d’orientation des jeunes. La politique d’orientation commence à se structurer autour d’un continuum bac -3/+3 ; en ce sens, la mise en place de Parcoursup doit impérativement se lire à l’aune de la réforme du baccalauréat.

En termes d’orientation, les améliorations sont de deux ordres :

  • en amont, amélioration de l’information mise à disposition des candidats : Parcoursup est un portail, qui peut être vertigineux, comprenant les attendus nationaux et locaux pour chaque formation, leur taux d’insertion professionnelle etc. Cependant, il convient de ne pas omettre que rendre accessible l’information ne signifie aucunement qu’elle sera décryptée comme il se doit ; d’où l’importance fondamentale de l’accompagnement dans l’orientation,
  • en aval, le début d’un accompagnement personnalisé en licence avec les « oui si ». Sur ce point, il serait opportun, Madame la ministre, d’avoir une évaluation nationale sur la mise en œuvre des « oui si » dans les établissements du supérieur pour analyser les freins ainsi que les aménagements auxquels procéder pour rendre le dispositif plus opérant. Rappelons que le législateur, et singulièrement au Sénat, a concédé la création de Parcoursup sous réserve de l’effectivité de ces modules complémentaires devant permettre aux étudiant.es de se mettre à niveau pour suivre l’orientation de leur choix. Pour ma part, je pense que cet accompagnement doit être encore plus renforcé et personnalisé, car il est la clef de la réussite des étudiants.

D’autre part, Parcoursup révèle un changement profond en matière de responsabilité dans le processus d’orientation. D’aucuns ont évoqué un transfert de responsabilité, voire une déresponsabilisation de l’Etat. Ce transfert s’opère dans deux directions :

  • vers les universités et les équipes pédagogiques qui, à travers les commissions d’examen des vœux, sont maintenant responsables de la sélection qu’elles peuvent effectuer. Ce changement de paradigme, corollaire de l’autonomisation croissante des universités, explique le combat que nous avons mené en faveur de la transparence des algorithmes dits « locaux », combat porté en commun avec mon collègue Pierre Ouzoulias. Je me réjouis de l’obligation qui est désormais faite aux établissements de publier, ex post, un rapport d’examen des vœux, faisant état des critères qui ont présidé à la décision. Il est indéniable que la transparence a progressé depuis 2018, malgré les dénis et refus répétés de la précédente ministre ;
  • vers les étudiants, rendus plus encore responsables de leur orientation. Deux lectures complémentaires sont possibles à cet endroit :
  • l’une méliorative : obliger les étudiants à penser leur projet d’orientation plus tôt au lycée, à le formaliser de manière plus détaillée et explicite est positif. Cela les rend encore plus acteurs de leur orientation, les conduit à se l’approprier et facilite la transition dans le supérieur. Ici, je pense au projet de formation motivé, à la fiche avenir etc.
  • l’autre plus nuancée, dès lors que nous raisonnons concrètement. Dans le monde de Parcoursup, tout se passe comme si les étudiant.es étaient égaux devant l’orientation. Or, les sociologues de l’éducation l’ont démontré depuis longtemps : en l’espèce, comme dans nombre de domaines, nulle égalité réelle ne prévaut. D’ailleurs, la mission d’évaluation de l’accès à l’enseignement supérieur de 2020, réalisée par l’Assemblée nationale, ne s’y trompe pas. Si :
    • l’octroi d’un second professeur principal dédié à l’orientation ;
    • la consécration de deux semaines destinées à l’orientation en terminale ;
    • et la mise en réserve de 54 heures, sur l’ensemble du lycée sont bénéfiques, leur application et leurs contenus sont très inégaux et aléatoires.

Pire, 85% des professeurs principaux ne s’estiment pas formés, si bien que plusieurs académies ont fait part de difficultés de recrutement. Idem, 40% des chefs d’établissement pensent devoir être formés à l’orientation. Ces statistiques explicitent pourquoi près d’un tiers des lycéens n’ont toujours pas bénéficié de conseils au moment de leur choix d’orientation.

Dans ce contexte, il est plus aisé de comprendre le sentiment d’injustice et d’amertume qui peut saisir les étudiant.es lorsqu’ils sont refusés dans la formation de leur choix premier. Ils se retrouvent responsables d’un échec qui pourtant n’est pas le leur.

Naturellement, Parcoursup n’est pas la seule cause de ce déficit dans l’accompagnement dans l’orientation des élèves. C’est la raison pour laquelle, en introduction, j’ai plutôt évoqué Parcoursup comme un révélateur : peut-être plus que toute autre considération, Parcoursup révèle le lourd investissement qu’il reste à réaliser pour structurer et améliorer notre politique d’orientation -qui a constitué, depuis des décennies, un talon d’Achille de nos politiques publiques.

Car la politique d’orientation est le viatique par lequel lutter efficacement contre les déterminismes de toute nature et par lequel accroître la mobilité sociale. Elle est d’autant plus indispensable que le système de l’enseignement supérieur se caractérise par une forte étanchéité entre filières, lesquelles sont héritées du secondaire, et par des passerelles encore trop rares. En conséquence, si la politique d’orientation n’est ni proactive ni corrective ni compensatoire, alors les étudiant.es se retrouvent enfermé.es dans une trajectoire qu’ils ne peuvent maîtriser.

Et la moindre inflexion peut jouer : songez, mes chers collègues, à la réforme de l’enseignement des mathématiques au lycée. Ayant disparu du tronc commun à partir de la première, le nombre de jeunes filles suivant cet enseignement a drastiquement chuté en un an, faisant voler en éclats des décennies de rattrapage et les privant d’accès à certaines filières scientifiques dans le supérieur. C’est un immense gâchis.

En réalité, l’orientation ne s’arrête pas au continuum -3/+3. Elle s’avère un processus long, complexe et intime, lié aux conditions personnelles de chaque élève. Le CESER, dans son rapport précité, avait parfaitement intégré cette dimension en préconisant de « passer de procédures ponctuelles à un parcours progressif » ; ce qui implique, tout au long de la scolarité, un travail de déconstruction des déterminismes sociaux et un accompagnement personnalisé de chaque élève pour construire son futur désirable.

Le caractère vital de cet accompagnement est d’autant plus fort que les chercheurs ont mis en exergue à quel point, dans le secteur de l’éducation, les inégalités se sédimentent et se cumulent, atteignant ainsi leur paroxysme…au moment de la procédure Parcoursup qui matérialise toutes les inégalités passées et, dans certains cas, les reproduit. Autrement dit, Parcoursup est le produit de notre système scolaire. Sans investissement massif dans notre politique d’orientation et dans l’enseignement supérieur, il est voué à corriger, mais aucunement à transformer radicalement la trajectoire et l’avenir de nos étudiant.es.

L’enjeu est donc primordial. Il en va de l’égalité des chances, de notre principe républicain de méritocratie, de plus en plus ébranlé et même érigé comme tyrannique (cf Michael J. Sandel, La tyrannie du mérite). Si les conditions de sa réalisation ne sont plus réellement réunies, le risque est bel et bien de voir ce principe définitivement rejeté, car perçu comme un moyen d’exclusion et de domination.

Je vous remercie.