Débats en séance

Séance publique du 3 mars 2020 (après-midi)

Projet de loi Accélération et simplification de l’action publique

Discussion des articles

INTERVENTION DISCUSSION GÉNÉRALE
PJL ACCÉLÉRATION ET SIMPLIFICATION DE L’ACTION PUBLIQUE
(5 MINUTES)

Monsieur le Président,
Monsieur le ministre,
Mes chers collègues,

Accélération et simplification : deux principes devant guider l’action et le service au public avec lesquels nous ne pouvons être qu’en accord a priori. Mais force est de constater que le Gouvernement a une fâcheuse tendance à ne les appliquer que de manière parcellaire – « faites ce que je dis, mais ne faites pas ce que je fais » !

D’un point de vue purement formel, impossible de contester la volonté « d’accélération » de l’exécutif : le Sénat a disposé de seulement deux semaines pour examiner un texte qui touche aux secteurs régaliens, à la santé, à l’économie, à la culture et bien d’autres encore. A l’instar d’autres débats, nous ne sommes plus dans l’accélération, mais nous versons littéralement dans la précipitation.

Il est vrai que ce projet de loi nous a été présenté comme comprenant des dispositions de bon sens, presqu’anodines, « simples » pour reprendre un terme mis en exergue. Il n’en est rien ! Rappelons qu’il contient initialement cinquante articles, tout de même ; et que la plupart de ces derniers, loin d’être évidents, suscitent de nombreux et difficiles questionnements eu égard aux thématiques abordées, aux incidences potentiellement importantes, justifiées et mesurées très inégalement au sein de l’étude d’impact.

Vous comprenez donc, mes chers collègues, que ce projet de loi dit de « simplification » n’est aucunement aisé. L’exercice d’analyse est rendu d’autant plus délicat que ce texte est dépourvu de colonne vertébrale et qu’il s’agit –pardonnez-moi l’expression, d’un véritable « fourre-tout », où se retrouvent tous les « rebuts » législatifs, précédemment non votés, censurés et que le Gouvernement s’acharne à vouloir faire passer.

Soit ! Après tout, d’excellentes mesures peuvent avoir été retoquées, car considérées comme des cavaliers législatifs. Par conséquent, la problématique essentielle est de questionner leur pertinence au regard des objectifs assignés à ce projet de loi, en l’occurrence l’accélération et la simplification de l’action publique.

Tout d’abord, interrogeons-nous sur ces finalités. Si elles sont recherchées, c’est, en théorie, pour améliorer l’efficacité de l’action publique. Mais concrètement, que signifie une action publique efficace ?

Sur le plan gestionnaire, les anglo-saxons parleraient d’efficience, c’est-à-dire utiliser le moins de ressources possibles pour obtenir le résultat escompté –une forme d’obligation de moyens en un sens. Sur le plan politique, c’est décliner et mettre en œuvre les politiques publiques de telle sorte qu’elles offrent un service public de qualité aux citoyens sur l’ensemble du territoire et qu’elles garantissent le respect et l’effectivité de leurs droits.

Sans cette « obligation de résultats » qui incombe à la puissance publique, « accélérer » et « simplifier » ne sont que des vains mots ; ou, autrement dit, ils ne peuvent constituer ni l’essence ni le but ultime de l’action publique. Ce ne sont pas des objectifs en soi –comme, entre parenthèses, réformer n’est pas une fin, on peut très bien réformer pour le pire ! Ce ne sont que des moyens.

Malheureusement, trop souvent dans ce texte, l’exécutif semble avoir oublié de lier l’obligation de moyens à l’obligation de résultats. Beaucoup de comités, de commissions sont supprimés, au motif qu’ils sont inutiles ou que leurs procédures sont trop lourdes, sans que soit réellement démontré l’impact positif en termes d’amélioration de l’action publique et de qualité du service public.

Au contraire, certains articles peuvent légitimement faire craindre une nette altération, pour ne pas dire une franche détérioration. Sans effectuer une liste à la Prévert, j’illustrerai mon propos par plusieurs exemples.

En premier lieu, en matière régalienne, nous ne pouvons que nous étonner de l’écart entre les discours de fermeté et l’affaiblissement de l’étude et de la réflexion autour des phénomènes de délinquance et de réinsertion, permettant d’adapter au mieux la politique pénale. A ce titre, je salue le maintien, par la commission spéciale, de l’observatoire national de la récidive et de la désistance. Plutôt que de prôner sa suppression, un renforcement de ses moyens serait plus que bienvenu.

Quant à l’article 38, qui dématérialise les demandes de titre de séjour, il menace directement l’effectivité du droit d’asile, droit pourtant constitutionnellement garanti. En effet, ne proposer qu’un service numérique, sans aucun guichet en préfecture, alors que cette population est souvent en situation de vulnérabilité et d’incapacité à accéder ou à naviguer au sein de la complexité des portails numériques, c’est tout simplement l’assurance de méconnaître leurs droits.

Enfin, j’aurai l’occasion d’y revenir, mais les changements originellement impliqués par l’article 17, sur lesquels notre commission spéciale est revenue, représentaient une remise en cause de notre politique publique culturelle. Nous proposerons de nouveaux amendements afin de sécuriser les procédures de labellisation des fonds régionaux d’art contemporain ou de spectacle vivant et d’arts plastiques. N’oublions pas que tous ces lieux, maillant notre territoire, sont vitaux pour l’accès à la culture.

Malgré les délais impartis particulièrement courts, nous essaierons, Monsieur le ministre, de continuer à améliorer ce texte afin que l’action publique ne soit pas seulement « accélérée et simplifiée », mais surtout plus efficace, plus juste et garante de l’accès aux droits de tous nos concitoyens.

Je vous remercie.