M. le président. La parole est à Mme Sylvie Robert. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Sylvie Robert. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous voilà au terme du processus législatif relatif au projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche.

Depuis plusieurs mois, celui-ci était attendu, espéré, devant solutionner à la fois le risque de décrochage de la recherche française sur la scène internationale, faute d’investissements suffisants, et la précarisation croissante des chercheurs et enseignants-chercheurs. En somme, il devait marquer une double reconnaissance à l’égard, en général, du monde de l’enseignement supérieur et de la recherche, et, plus spécifiquement, des personnels qui fondent son rayonnement.

Malheureusement, au fur et à mesure des débats, ce grand espoir s’est transformé en grande déception ! Certes, le texte issu de la commission mixte paritaire apporte quelques avancées notables, telles que la mensualisation des chargés d’enseignement et des agents vacataires à partir de 2022, ou même, vous l’avez dit, madame la ministre, le renforcement de l’intégrité scientifique.

Toutefois, le résultat final est très en deçà des attentes et de l’ambition affichée, mettant ainsi en question la crédibilité attachée à votre projet et à l’objectif de porter la part de la recherche dans le PIB à 3 %, dont 1 % pour le secteur public.

Pour étayer mon propos, je prendrai appui sur quelques points.

Premièrement, cette crédibilité a d’emblée été effritée par le caractère anormalement long de la programmation, comme l’a rappelé initialement le Conseil d’État dans son avis, faisant ainsi douter de sa sincérité. À cet égard, je regrette vivement que l’apport du Sénat, qui avait raccourci ladite programmation à sept ans et avait concentré l’effort budgétaire sur les premières années pour concrétiser la volonté politique de soutenir la recherche, ait été supprimé en commission mixte paritaire. C’est une erreur !

À vous la communication politique, madame la ministre, aux autres les investissements. Je pense que la politique de la promesse n’est pas un art de gouverner.

Cette crédibilité a été fortement mise à mal, puisque vous avez répondu à côté des préoccupations émanant du terrain. Vous les avez même aggravées, suscitant ainsi tension et incompréhension. Je fais référence au double mouvement de précarisation qui se déploie au travers de ce texte : à la précarisation des doctorants-chercheurs fait écho la précarisation de notre modèle de recherche, résultant de la part excessive que représente la recherche sur appels à projets.

Si nous ne revendiquons nullement la fin de la recherche sur projets, nous estimons, en revanche, qu’il convient de rééquilibrer notre modèle de recherche publique au profit du financement récurrent des laboratoires. C’était une demande forte de la communauté scientifique ; vous ne l’avez pas suivie !

Au cours des travaux préparatoires, le cri d’alarme des chercheurs avait, entre autres, trait à leur niveau de rémunération, mais aussi à leurs conditions de recherche intrinsèquement liées à leurs clauses statutaires et contractuelles. À leur besoin de prévisibilité, de sérénité, de temps long, à leur souhait naturel de se concentrer sur leurs travaux de recherche et non sur des tâches administratives chronophages, vous avez répondu par la création des CDI de mission scientifique et des contrats doctoraux de droit public ou privé.

En d’autres termes, au problème de précarisation croissante des chercheurs et des doctorants et, plus globalement, à celui de la recherche et de l’enseignement supérieur français, vous répondez par l’élaboration de nouveaux contrats, dont certains n’ont ni garanties ni rémunération fixées dans la loi.

Enfin, cette crédibilité est réduite à néant quand surgissent et sont adoptées des mesures sur des sujets sensibles et loin d’être anodins, alors même qu’ils avaient été écartés du projet de loi originel. À cet endroit, je veux bien évidemment évoquer la fin du recours aux procédures de qualification par le Conseil national des universités (CNU) pour la désignation et l’avancement à certains postes.

S’il est toujours possible, parfois souhaitable, de faire évoluer un système, il n’en demeure pas moins qu’une méthode doit être respectée quand sont abordées des questions aussi structurantes pour le monde académique, même lorsqu’il s’agit d’une expérimentation. Il est pour le moins étrange qu’un amendement emportant de telles implications soit adopté en séance publique – c’est le jeu –, mais surtout validé en commission mixte paritaire avec l’aval du Gouvernement.

Par cette disposition, c’est tout simplement la dérégulation du système qui est annoncée.

Cette mesure est arrivée sans étude d’impact, sans concertation préalable.

Et que dire, mes chers collègues, de la formulation si tristement ironique aux termes de laquelle « un décret en Conseil d’État fixe les conditions d’application des dispositions […], après concertation avec l’ensemble des parties prenantes » ? Si je résume : vous décidez, madame la ministre, puis vous concertez sur la décision déjà prise ; c’est un drôle de dialogue !

Eu égard à l’écart entre les attentes de la communauté universitaire et scientifique et le projet de loi final, il n’est aucunement surprenant de constater l’ampleur de l’émoi et du rejet provoqués par ce texte. Peu d’écoute, peu de dialogue, diraient certains, mais beaucoup de crispations, malheureusement.

C’est une sorte de rendez-vous manqué, si bien que ce grand espoir devenu grande déception est désormais une grande inquiétude.

Non seulement votre programmation n’est pas à la hauteur des enjeux de la recherche et de l’enseignement supérieur français, mais, de surcroît, elle aggrave les failles auxquelles elle était censée remédier. Elle n’est pas la loi attendue consacrant réellement et immédiatement des moyens beaucoup plus substantiels aux universités et aux laboratoires. Elle n’est pas la loi attendue endiguant le mouvement de précarisation de la recherche. C’est une loi sans colonne vertébrale, assez bureaucratique – je la qualifierais même de dangereuse –, où la suppression de la qualification par le CNU côtoie la création d’un délit d’entrave, avec tous les problèmes d’interprétation que cela implique, et la création d’une école vétérinaire privée.

Pour toutes ces raisons, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain s’opposera, comme en première lecture, à ce projet de loi en votant contre les conclusions de la commission mixte paritaire ; il ira jusqu’au bout de son combat en saisissant le Conseil constitutionnel. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)