COMPTES RENDUS DE LA COMMISSION DE LA CULTURE, DE L’EDUCATION ET DE LA COMMUNICATION

 

– Présidence de Mme Catherine Morin-Desailly, présidente –

La réunion est ouverte à 11 h 5.

Violences sexuelles dans le sport – Audition de Mme Roxana Maracineanu, ministre des sports

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. – Mes chers collègues, nous accueillons Mme Roxana Maracineanu, ministre des sports. Voilà quelques jours, la presse faisait état de nouveaux scandales dans le milieu sportif, notamment des violences et infractions sexuelles dans le milieu du patinage. Les révélations de cette nature se multiplient ces derniers mois. Nous saluons la prise de parole courageuse des athlètes – le plus souvent des femmes -, qui dénoncent aujourd’hui les agressions dont ils ont été victimes, dès l’adolescence.

Les membres de la commission ont été consternés par la gravité des faits, par leur nombre, mais aussi par l’absence de réaction des fédérations sportives, dont on comprend aujourd’hui que certaines étaient parfaitement conscientes de la situation. Le phénomène n’est pas nouveau. Le Sénat s’est penché depuis plusieurs mois sur le sujet des violences sexuelles. À l’origine, il était question d’engager des travaux sur les infractions sexuelles au sein de l’Église ; plusieurs présidents de commission, convaincus que des travaux transversaux étaient nécessaires, ont souhaité que cette mission d’information soit élargie à tous les secteurs d’activité. À cet égard, je vous renvoie au rapport de la mission d’information sur les infractions sexuelles commises sur les mineurs, présidée par Catherine Deroche et dont Marie Mercier, Michelle Meunier et Dominique Vérien étaient les rapporteurs.

Il ne s’agit pas de refaire ce travail, qui se poursuit notamment à la commission des lois. Cette question affecte tous les secteurs de la jeunesse.

Madame la ministre, nous souhaitons savoir comment vous vous emparez de ce sujet. Vous avez organisé la semaine dernière un séminaire consacré aux violences sexuelles dans le sport, pour procéder à un état des lieux et envisager des actions. Pouvez-vous dresser le bilan de cette journée ? Sans doute pourrez-vous également évoquer votre propre expérience de sportive de haut niveau et nous indiquer quelle connaissance de ces pratiques pouvaient avoir les athlètes et l’écoute dont ils ont pu ou non bénéficier de la part des cadres fédéraux.

Mme Roxana Maracineanu, ministre des sports. – Je vous remercie d’avoir organisé cette audition et du soutien transpartisan que vous exprimez sur cette question.

Vendredi dernier, lors de la Convention nationale de prévention des violences dans le sport, j’ai reçu de nombreux témoignages de soutien, à l’instar de ce qui s’est passé lors des révélations par la presse de crimes anciens ou actuels. Il faut savoir que ce qui paraît dans la presse représente environ 25 % des témoignages qui arrivent au ministère des sports. Je remercie d’ailleurs la presse de s’être saisie de ce sujet, ce qui a permis de libérer la parole.

J’ai pris connaissance du rapport d’information du Sénat sur les infractions sexuelles commises sur les mineurs, qui dépasse le monde sportif. C’est un excellent travail, qui m’a beaucoup appris. Cela fait écho à ce que j’ai pu entendre sur le terrain, depuis que ces affaires ont été révélées. Votre travail et celui que nous réalisons aujourd’hui ont un vrai effet dans les territoires : en entendant parler de ces cas dans la presse ou par notre voix, certaines femmes – pas nécessairement des sportives – sont à même de se rappeler ce qu’elles ont vécu. Aujourd’hui, elles se font suivre par des psychologues et arrivent à vivre leur statut de victime la tête haute, au sein de leur famille et auprès de leurs amis.

Je suis sûre que cet élan a été entendu par les victimes. Dans le domaine du sport, nous avons pu l’entendre vendredi dernier, lorsque nous avons réuni les fédérations. Comme l’a déclaré le président de la Fédération française de tennis au cours de son intervention, il s’agit de permettre une véritable catharsis, aussi bien pour les fédérations et le ministère des sports que pour tous les acteurs présents, y compris les victimes.

Il est important de déconstruire avant de construire autre chose. Beaucoup a été entendu, mais beaucoup aussi a été tu. Nombreux sont ceux, et j’en fais partie, qui n’ont pas pris la mesure de ce qu’ils ont lu et entendu. Il nous fallait partager en quelque sorte cette culpabilité commune avant d’aborder une nouvelle étape. Il ne faut pas renoncer à se mobiliser, au prétexte que cela pourrait nuire à l’image du sport ou que notre pays accueille les jeux Olympiques dans quatre ans. De mon point de vue, la parole doit surgir : ce qui doit primer, c’est d’entendre les victimes.

Vous le savez, j’ai été sportive de haut niveau et je suis une amoureuse du sport, des exploits et de la performance. Pour autant, pour moi, au-delà de la performance, ce qui compte, c’est la recherche de la performance et les progrès qu’elle permet. C’est valable pour les sportifs de haut niveau comme pour les sportifs du quotidien. Je suis intimement persuadée des vertus que le sport peut offrir à ses pratiquants.

Pour que l’individu puisse s’épanouir grâce au sport, s’émanciper et devenir autonome, il doit être accompagné par quelqu’un qui, avant tout, a un geste éducatif et qui n’est pas animé par un désir de possession ou la volonté d’exercer une emprise ou une forme de pouvoir.

Parce que j’avais connu ou vécu des expériences dans le domaine de la natation qui pouvaient s’apparenter davantage à des relations d’emprise qu’à des relations éducatives et d’émancipation de l’individu au nom de la performance, dès mon arrivée au ministère, j’ai voulu mettre en avant cet aspect en proposant une formation aux éducateurs. Il s’agit de remettre la dimension éducative au coeur de la formation des éducateurs devant la recherche de performances.

Fréquentant par ailleurs les associations sportives dans lesquelles j’ai voulu inscrire mes enfants, j’ai eu la surprise de découvrir autour de moi quelques cas importants, même s’ils n’avaient pas l’ampleur de ceux qui ont été révélés par la presse, à l’échelle de trois petites villes. Cela m’était déjà arrivé lorsque j’étais éducatrice.

Par conséquent, je ne pouvais pas dire que de telles pratiques n’existaient pas aussi dans le sport ! Au-delà des belles images de performance qui sont véhiculées à la télévision, le sport est un système social à l’intérieur d’un autre système social, avec ses qualités et ses défaillances. Les violences, les addictions, les discriminations ou l’homophobie qui existent dans la société se trouvent également dans le monde sportif ; il n’y a aucune raison qu’il en soit autrement. Se retrancher derrière une image positive ou d’exemplarité revient à se voiler la face.

Vers la fin de l’année 2018, j’ai découvert qu’une expérimentation avait lieu au sein de la Ligue de football de la région Centre Val-de-Loire, en lien avec nos services déconcentrés, visant à contrôler l’honorabilité des 10 000 bénévoles éducateurs au contact des enfants dans ce territoire. Il m’a paru intéressant et important d’accélérer cette expérimentation, d’examiner également ce qu’impliquerait la création d’un fichier à l’échelle d’un territoire, puis à l’échelle d’une fédération, et de réfléchir à la façon de le généraliser.

Nous avons lancé cette expérimentation en même temps que nous lancions un tour de France aux côtés de l’association « Colosse aux pieds d’argile ». Sébastien Boueilh, son président, est intervenu auprès de différents établissements – l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance (Insep), les centres de ressources, d’expertise et de performance sportive (Creps), l’École nationale de voile et des sports nautiques, etc. – pour prendre la mesure du phénomène. Il m’a informée que, chaque fois, au moins une dizaine de jeunes venaient à lui, plus de la moitié lui parlant de faits se déroulant non pas dans le milieu sportif, mais plutôt dans le milieu familial ou ailleurs. J’ai pris conscience de la dimension que pouvait avoir le sport dans la protection de l’enfance.

À sa nomination en tant que secrétaire d’État à la protection de l’enfance, j’ai associé mon collègue Adrien Taquet aux mesures que nous avions déjà prises, en particulier le plan de lutte contre les noyades et de déploiement de l’aisance aquatique en direction des enfants âgés de 3 à 4 ans. C’est un moyen de déceler de possibles violences auprès de 800 000 enfants.

Dès novembre 2018, il a annoncé un plan contenant 22 mesures, certaines reprenant celles que nous avions déjà mises en place dans le sport en faveur de la protection de l’enfance. Différents cas ont ensuite été médiatisés, la parole s’est libérée. Nous avons renforcé et systématisé les enquêtes administratives sur tous les cas, même les anciens. À titre personnel, je peux témoigner que jamais je n’ai entendu parler des agissements de cet entraîneur au sein du lycée climatique de Font-Romeu. Depuis lors, des outils de prévention ont été mis en place. Nous devons tous faire notre mea culpa pour ne pas avoir suffisamment prêté d’attention à ces faits.

J’ai annoncé pour mai un plan de prévention national et Fabienne Bourdais, inspectrice générale de l’éducation, du sport et de la recherche, a été nommée à la tête de la mission interministérielle dédiée à la lutte contre les violences sexuelles dans le sport. En collaboration avec les services d’Adrien Taquet et de Marlène Schiappa, avec le monde sportif, l’objectif est de libérer la parole, de créer une vraie chaîne de signalement pour accompagner les victimes, de s’occuper également des agresseurs en menant un véritable travail avec la justice. C’est ainsi que le ministère des sports mène un travail sur le fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles et violentes (Fijais).

Fabienne Bourdais interviendra auprès de tous les acteurs sportifs et des associations qui luttent contre les violences sexuelles. Dans la foulée du plan national, les fédérations seront accompagnées afin de leur permettre de bâtir leur propre plan de prévention et de le mettre en oeuvre, le but étant de toucher tout le monde, des dirigeants des associations aux enfants et à leurs parents, contrairement à ce qui s’est passé dans la lutte contre la radicalisation et le dopage. Nous avons fait beaucoup dans ces domaines – rédigé des guides, mis en place des référents dans les fédérations -, mais le fait est que le message n’arrive pas au bout de la chaîne. L’Agence nationale du sport nous permettra aussi de discuter avec les autres acteurs. L’implication des parlementaires permettra de mobiliser les maires, par qui cette lutte doit également passer, les associations utilisant les équipements municipaux.

À terme, un contrat d’usage pourrait être signé entre les municipalités et les associations utilisant ces équipements de manière à pouvoir agir plus facilement quand un cas est avéré.

S’agissant de la formation des éducateurs, le module « éthique et intégrité » qui leur est délivré n’a pas de caractère obligatoire. Nous voulons enrichir son contenu afin qu’il puisse servir aux futurs éducateurs et aux futurs entraîneurs dans leur relation avec les athlètes : qu’est-ce qui est interdit ? Quelles limites poser et comment s’y tenir ? Faut-il mettre en avant le sacrifice pour parvenir à la performance ? Quel niveau d’autorité vis-à-vis des enfants ?

Dans beaucoup de cas, dans de nombreux témoignages de victimes que j’ai entendus, il apparaît que cette question du sacrifice pour parvenir à la performance n’est pas abordée et que des entraîneurs malveillants peuvent en profiter pour justifier également le sacrifice de l’intégrité morale et physique, lequel est présenté comme une épreuve comme une autre.

Pour les parents, pour les bénévoles associatifs, pour les dirigeants d’association, cette relation d’emprise doit être questionnée. Est-ce un moyen de parvenir à la performance ou ne vaut-il pas mieux en passer par un acte éducatif ? Ne doit-on pas prôner l’épanouissement de l’enfant et son accession à l’autonomie ? Voilà ce en quoi devrait consister le travail de l’éducateur, plutôt que cette relation de pouvoir avec le jeune.

La future loi « Sport et société » pourra comporter des dispositions relatives à la formation des éducateurs, au contenu de ce module, qui pourrait devenir obligatoire, et à son évaluation.

Ce projet de loi prévoira également des dispositions concernant un contrat de délégation. L’État doit pouvoir retirer une délégation, or sa situation n’est pas très sécurisée aujourd’hui. Ce contrat doit être plus étoffé et permettre de mettre plus facilement à l’amende les responsables des fédérations, lesquels se retranchent souvent derrière le ministère ou la justice. Or c’est non pas à moi, ministre des sports, que les enfants sont confiés, mais aux associations, qui font partie d’une fédération. Ce sont elles qui sont en première ligne, c’est donc à elles de réfléchir à ces questions. Elles ne peuvent pas s’exonérer de leurs responsabilités. Ensuite, nous nous devons évidemment de les accompagner, et il appartient au pouvoir judiciaire de sanctionner.

Nous avons signé vendredi dernier une convention avec le 119 afin de permettre les signalements. Parce que nous n’avons pas, nous, la capacité de tout gérer en interne, l’appui du 119 est indispensable aujourd’hui.

Enfin, nous travaillons activement à la constitution d’un fichier des associations à l’échelle nationale. Il est important pour nous de pouvoir communiquer sur ces thématiques avec les responsables associatifs. Or nous ne sommes clairement pas en capacité de le faire aujourd’hui. Ce fichier nous permettra de distinguer les associations sportives parmi l’ensemble des associations et de disposer d’un fichier d’adresses e-mail à jour.

Telles sont les quatre mesures que nous avons annoncées vendredi. La convention nationale de prévention des violences sexuelles dans le sport a été très suivie, et par le mouvement sportif et par le mouvement associatif. Ce fut un beau moment d’échange d’expériences. C’est maintenant que tout commence : les ateliers vont débuter et aboutir à l’échelon national au mois de mai.

Mme Dominique Vérien. – Je tiens tout d’abord à saluer votre engagement sur le sujet délicat des violences sexuelles, engagement que la mission d’information avait d’ailleurs reconnu dans son rapport. Alors qu’on n’arrête pas de dire qu’il faut que la parole se libère, on se rend compte que c’est l’écoute qui devrait en fait se libérer. Nous vous remercions donc pour votre écoute attentive.

Dans notre rapport, nous avions mis en exergue, en plus de la question du handicap, la situation dans le milieu sportif, d’abord parce que la majorité des violences sexuelles sur mineurs se produisent dans un cercle de confiance, dont fait souvent partie l’entraîneur sportif ; ensuite parce que le lien entre l’entraîneur et l’athlète dans le sport de haut niveau n’est pas sans risque d’emprise ; enfin, parce que le nombre de bénévoles auquel les associations ont recours, lesquels, dans la majorité des cas, ne sont pas contrôlés, expose les clubs sportifs au risque d’accueillir des pédocriminels en leur sein. L’association Colosse aux pieds d’argile évalue à 10 % ou 13 % le taux de victimes, sur les 4 millions d’enfants pratiquant un sport. Selon une enquête de 2009, ce taux serait même de 17 % dans le milieu du sport professionnel. Ces études étant anciennes, ne serait-il pas possible d’en réaliser une nouvelle ?

Colosse aux pieds d’argile préconise des formations sur la prévention, les bons comportements, la manière de recueillir la parole de l’enfant et d’effectuer un signalement, mais leur intégration dans les cursus des éducateurs se heurterait à un problème de financement. Peut-il être résolu ?

Pour le contrôle des bénévoles, pourquoi le système automatisé utilisé pour recruter les moniteurs de colonies de vacances n’est-il pas généralisé ? Ce système permet de savoir immédiatement si une personne peut être recrutée ou non, après la seule saisie de son nom. Un tel système rendrait service à toutes les associations qui travaillent avec des enfants.

Enfin, l’obligation de déclaration a été supprimée pour les associations d’éducation physique et sportive. Faut-il aujourd’hui réinstaurer cette obligation ?

Mme Roxana Maracineanu, ministre des sports. – Selon les personnes ayant effectué les enquêtes que vous venez d’évoquer, il semble plus important et plus urgent d’agir aujourd’hui, de faire prendre conscience des problèmes au mouvement sportif et de faire de la prévention. Chaque fédération a commencé, compte tenu de la médiatisation de certaines affaires, à mettre en place son propre numéro vert. Nous, nous préférons harmoniser. C’est pour cela que nous nous sommes rapprochés du 119. Nous préférons nous appuyer sur ce qui existe déjà, par exemple pour le traitement des agresseurs, l’accompagnement des victimes.

S’agissant des moyens, nous avons eu vendredi une offre de services de la part des associations, qui sont financées par d’autres ministères. Bien évidemment, si des moyens spécifiques ou une formation aux particularités du sport sont nécessaires, nous les fournirons. Ces associations pourraient intervenir, surtout dans les formations dont on a parlé. J’ai cependant dit aux fédérations qu’elles devaient se tourner vers leur propre écosystème et donner un rôle aux victimes, qui demandent à participer à la prévention, comme l’a fait Sébastien Boueilh dans le rugby, comme souhaitent le faire Sarah Abitbol et Nathalie Péchalat dans le patinage. Les sportifs seront plus sensibles à ces questions si elles sont abordées par quelqu’un qui pratique leur sport. C’est à ce type de démarches que nous apporterons des moyens et notre soutien. Nous travaillons également avec d’autres associations – la Voix de l’enfant, Stop aux violences sexuelles, le Comité éthique et sport -, le but étant de les faire travailler ensemble.

Aujourd’hui, il est facile de contrôler les éducateurs, car ils ont une carte professionnelle. Les présidents ont pris l’habitude de le faire en ligne. Les associations ont, elles, proposé de contrôler leurs bénévoles. Ce sera un bon filtre pour les dirigeants. Il reste à faciliter la technique. Pour mettre en place pour le contrôle des bénévoles la même technique que pour les éducateurs diplômés, il faudra instaurer une carte de bénévole. La difficulté, c’est qu’une colonie de vacances doit être déclarée, ce qui n’est pas le cas des associations ou des stages sportifs. En outre, le bénévolat peut être diffus sur l’année, alors qu’une colonie a une durée fixe. Ce contrôle demande donc un véritable engagement de la part des présidents des associations.

La déclaration des établissements d’activités physiques et sportives a effectivement été supprimée en 2015 pour des raisons de simplification. Une réflexion est en cours sur l’intérêt de la rétablir et pour quelles associations.

Quant à la déclaration qui, effectivement, a été supprimée en 2015 pour des raisons de simplification, une réflexion est en cours au sujet de son éventuel rétablissement.

  1. Michel Savin. – Madame la ministre, je souhaite saluer votre engagement sur ce sujet. Au Sénat, nous soutenons votre démarche et l’accompagnerons par une proposition de loi.

Un travail a été fait au sein de notre assemblée : le ministère, les fédérations, les collectivités territoriales n’ont pas été les seuls à se préoccuper de ces questions. Cette problématique fait la une de l’actualité, mais nous en parlons depuis des années. Le ministère a visiblement des objectifs clairs, y compris au travers d’actions transversales avec d’autres ministères. Mais il faut aussi envoyer un message par le biais de la législation. Je ne voudrais pas que nous nous disions dans six mois que nous n’avons rien fait. Certaines fédérations attendent que la loi contraigne à agir.

J’espère que vous pourrez enrichir nos propositions, notamment l’extension de la consultation du Fijais aux bénévoles et à tous les délits. On peut interdire aux personnes condamnées d’exercer auprès de la jeunesse pour éviter les prédateurs. Il faudrait aussi mobiliser l’éducation nationale : on doit dire aux jeunes enfants que personne ne doit toucher leur corps, et pour cela, il faut que les enseignants soient formés. On peut aussi inscrire la lutte contre les violences sexuelles dans les missions de l’Observatoire national de la protection de l’enfance. J’espère que vous nous soutiendrez.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. – Le Sénat est engagé de très longue date dans des travaux sur ces sujets, avec de nombreuses propositions. Les collègues ont continué leur travail – je pense au rapport d’information sur les professionnels soumis à secret. La proposition de loi qu’évoque M. Savin comporte des dispositions qui modifient le code pénal et le code de procédure pénale qui seront bien entendu examinées par la commission des lois.

  1. Stéphane Piednoir. – J’étais moi aussi membre du bureau de la mission commune d’information et je rejoins les propos de mes collègues. Nous avions fait 38 propositions. Pour ma part, cette mission commune d’information a été l’occasion de découvrir l’ampleur du phénomène. Merci, madame la ministre, pour la clarté et la sincérité de vos propos qui démontrent votre volonté de mettre fin à l’omerta. Notre souci est de rétablir la confiance, pour que les familles qui déposent leurs enfants dans un club sportif aient une absolue confiance dans le fait qu’il y a eu des contrôles même si, dans ce domaine comme dans d’autres, le risque zéro n’existe pas.

Je suis adepte de la prévention et de la pédagogie. Des actions peuvent être menées dans ce domaine, mais cela nécessite une formation des encadrants, et une formation initiale au moment du recrutement des salariés. Des personnes qui sont là depuis longtemps peuvent être des prédateurs qui sont passés à travers les mailles du filet. Vous avez parlé d’une plaquette : pouvez-vous nous en dire plus à son sujet ?

Soutiendrez-vous la proposition de Michel Savin d’organiser une session d’information aux enfants une fois par an ?

Il y a des licences de dirigeants. Peut-être faudrait-il une licence d’encadrant, liée au Fijais pour automatiser le contrôle ?

  1. David Assouline. – Je le dis de bon coeur et avec conviction : merci de votre engagement exemplaire sur ce sujet. Vous avez su avoir les gestes d’autorité nécessaires et faire preuve d’une connaissance sensible du sujet.

Ce qui a été révélé est très grave. L’ampleur du phénomène doit être mise au jour : on ne le connaît sans doute pas intégralement. On l’imagine à partir de ce que l’on découvre. C’est ce que je me suis dit lors des révélations concernant le cinéma : si des grandes vedettes ont été victimes de violence, que doit-il se passer lorsque les femmes sont en situation de fragilité beaucoup plus grande ?

De quels outils disposons-nous pour apprécier l’ampleur du phénomène ? On ne peut pas faire la même chose partout, selon les associations, les territoires et les environnements. Si les victimes ont été obligées de parler, c’est qu’il y a eu des indices et que nous n’avons pas su alerter avant. La prévention ne doit pas se faire uniquement en direction des victimes : chacun doit avoir le réflexe de parler et de venir en aide lorsque c’est nécessaire ; l’ensemble des citoyens est concerné.

Les actions envisagées présentent une dimension transversale, interministérielle. Vous orientez-vous vers la création d’une délégation interministérielle ?

Vu l’importance de cette question, imaginez-vous une augmentation du budget pour ces actions de prévention ?

J’ai fait un rapport sur le sport à la télévision, que j’avais centré volontairement sur la valorisation du sport féminin. S’il était plus valorisé, peut-être les prédateurs seraient-ils dans un rapport de force différent, par rapport à la fragilité de ce qu’ils considèrent comme leurs proies.

  1. Claude Kern. – Merci pour votre engagement. Il faut maintenant passer à l’action pour le bien-être des sportifs et pour l’image du sport en général. J’espère que cette actualité fera avancer l’examen du projet de loi « Sport et société » dans l’agenda parlementaire. Nous n’avons pas le droit de fermer les yeux. Mais ne tombons pas dans l’extrême et ne ternissons pas l’image des nombreux bénévoles qui sacrifient leurs loisirs tous les week-ends. Ils ne méritent pas cela et ils souffrent des agissements de ces quelques malades. Il faudrait sans doute examiner leur situation pour rétablir la confiance.

J’espère que vous vous appuierez sur la proposition de loi de Michel Savin, que je soutiens, et que vous vous attaquerez – si j’ose dire – à la gouvernance des fédérations. Je l’avais mis en évidence dans mon rapport rédigé avec Jean-Jacques Lozach, il y a parfois une omerta qu’il faut lever.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. – Il faudra à tout le moins faire un bilan sérieux de l’application de la loi « Éthique et sport ».

  1. Damien Regnard. – Merci des actions concrètes que vous avez annoncées. Un acteur important doit être aussi pris en compte : les parents, qui font souvent une confiance aveugle dans ces clubs sportifs, sans penser aux scénarios affreux qui peuvent se présenter. C’est parce que dans ma famille j’avais été informé de ce genre de choses, que j’ai pu me sortir à l’âge de quatorze ans d’une situation difficile. Il faut informer les familles de ces déviances. C’est aussi dans la cellule familiale que des signes peuvent être détectés. Vous l’avez indiqué à titre personnel, vous avez des enfants dans un club sportif. Les parents doivent être inclus dans le dispositif et être rassurés pour éviter les dérapages. Nous devons dire aux parents : discutez-en avec vos enfants. Cela évitera beaucoup de catastrophes.
  2. Olivier Paccaud. – Nous nous réjouissons de votre volonté de ne plus mettre la poussière sous le tapis, madame la ministre.

Vous avez évoqué tous les acteurs dans votre intervention, sauf peut-être les parents… Or beaucoup de responsables associatifs nous disent que le bénévolat s’est tari, et que les parents participent moins qu’avant à la vie des clubs.

Ne faudrait-il pas essayer de les solliciter davantage ? Je suis convaincu que cette présence parentale renforcée serait de nature à paralyser les prédateurs, dont la principale caractéristique est la lâcheté.

Mme Céline Brulin. – Je salue vos positions sur une question très complexe, ainsi que votre courage dans l’adversité.

Vous avez aussi évoqué le sens du sacrifice lié à la performance. Cette réflexion très intéressante me semble à même d’ouvrir des perspectives pour le mouvement sportif, au-delà de la thématique spécifique qui nous réunit aujourd’hui.

Les questions financières ne peuvent pas non plus être passées sous silence. Les acteurs actuels peuvent certes prendre en charge certaines actions, mais on a souvent déploré le manque de moyens de votre ministère. Il paraît évident que des réponses transversales devront également être apportées, à un niveau interministériel. Comment les parlementaires que nous sommes peuvent-ils vous aider à débloquer les ressources nécessaires ?

Je souhaiterais enfin obtenir des précisions de votre part sur le contrôle d’honorabilité, que je méconnais assez largement. Je me réjouis qu’il n’y ait pas eu pour l’instant d’opposition à cette proposition de la part des bénévoles. Mais un contrôle plus strict doit aussi, à mon sens, s’accompagner d’une évolution de leur rôle, avec si possible une contractualisation de leurs missions.

Mme Sylvie Robert. – Je salue à mon tour votre engagement, madame la ministre.

Il y a une forme d’urgence à agir. La proposition de loi déposée par notre collègue Michel Savin montre l’intérêt d’aller plus loin sur le plan législatif, notamment en termes de repérage et d’accompagnement.

Compte tenu des dernières révélations – elles vont certainement continuer, et c’est heureux, car cela participe d’une nécessaire prise de conscience -, nous avons besoin d’outils efficaces assez rapidement. Comment comptez-vous renforcer la dimension éthique du projet de loi « Sport et société » que vous porterez prochainement ?

  1. Jean-Raymond Hugonet. – Je m’associe au concert de louanges général, même si je redoute le trop-plein, qui se traduirait par une sorte de concours Lépine de la formule ou de la proposition. Ainsi, sauf erreur de ma part, vous avez suggéré qu’un maire pourrait révoquer un responsable associatif. Prenons garde de ne pas ajouter sur les épaules des élus locaux des prérogatives impossibles à appliquer !

Sinon, vous avez parfaitement nommé les choses en évoquant le sacrifice, le pouvoir et l’emprise.

J’insiste, à la suite des intervenants précédents, sur le rôle des parents, en particulier dans le sport de haut niveau. Les parents, encore plus que leurs enfants, sont entraînés dans la spirale de la notoriété et du business associés au statut de sportif de haut niveau, et j’en ai vu certains qui oubliaient alors complètement de jouer leur rôle éducatif fondamental…

Le ministère des sports doit agir, bien entendu, mais le problème est bien plus large, car il engage l’éducation fondamentale des enfants et le rôle des parents.

  1. Laurent Lafon. – Je salue à mon tour la justesse de vos propos, madame la ministre.

On a bien compris que vous vouliez, en vous appuyant sur les responsables de fédérations, impulser une dynamique qui doit concerner tous les acteurs du monde sportif, y compris les bénévoles qui encadrent les enfants dans les clubs.

On demande à ces bénévoles d’être aujourd’hui en première ligne sur ces sujets difficiles que sont les violences sexuelles, le racisme, l’homophobie ou la radicalisation, une mission qui dépasse largement le simple partage de leur passion. Il me semble donc que la question de l’accompagnement de ces bénévoles doit être posée, au-delà de celle de leur formation. N’est-il pas temps de leur donner un statut ?

Mme Dominique Vérien. – Ma collègue Michelle Meunier me souffle un sujet important à propos des futurs jeux Olympiques.

On sait que c’est au moment où la sélection des sportifs s’opère que l’emprise et le sacrifice sont les plus forts. Des mesures spécifiques sont-elles prévues ?

On sait par ailleurs que tous les grands rassemblements sportifs se traduisent par une recrudescence de la prostitution de jeunes filles et de jeunes garçons en marge de la compétition. Que comptez-vous faire pour l’éviter ?

Mme Céline Brulin. – Prévoyez-vous aussi de travailler sur le sport scolaire, en lien avec l’éducation nationale ?

Mme Roxana Maracineanu, ministre. – Je constate que la question des violences sexuelles dans le sport touche énormément de sujets.

Dans un premier temps, ma volonté est évidemment de faire en sorte que ces violences soient reconnues. Cela étant, il faut que les drames subis ouvrent de nouvelles perspectives au mouvement sportif.

Je l’ai dit, nous avons lancé une expérimentation pour contrôler l’honorabilité des bénévoles dans la région Centre-Val de Loire. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, elle a suscité l’enthousiasme des présidents de clubs qui m’ont parlé des effets bénéfiques qu’une telle expérience pourrait avoir, notamment pour le statut et le rôle de ces bénévoles. Aujourd’hui, l’enjeu est de parvenir à rénover la politique de recrutement des bénévoles : Gabriel Attal et moi avons commencé à réfléchir à ce dossier.

L’effort doit également porter sur l’éducation au corps, qui dépasse le seul enseignement technique du sport. Le mouvement sportif doit accompagner la prise de conscience des enfants vis-à-vis de leurs corps. Il est très important de leur enseigner une forme d’autonomie dans l’habillage, le déshabillage, pour la douche avant et après l’activité sportive. Je pense aussi au rôle que peuvent jouer les associations pour renforcer l’accompagnement à la parentalité, notamment l’aide qu’elles peuvent apporter aux familles durant les activités destinées aux enfants, comme les « bébés nageurs », par exemple. Nous avons l’intention de travailler avec les PMI pour développer cette éducation spécifique.

Il est temps de libérer la parole des victimes dans le monde sportif, mais aussi dans les familles. Il faut sensibiliser les parents à la question des violences sexuelles : cette problématique doit devenir un sujet de discussion entre adultes, ainsi qu’entre adultes et enfants, faute de quoi nous ne briserons pas le tabou. Il faut que tout le monde se saisisse du problème, les parlementaires en particulier, car la loi reste un vecteur efficace de mobilisation. Je précise que la première partie de la future loi « Sport et société » portera sur la démocratie et la gouvernance des fédérations ; une deuxième concernera l’éthique et l’intégrité sportive, ce qui rejoint directement le thème dont nous discutons ce matin ; une troisième traitera du développement des pratiques, qui offriront de nouvelles opportunités au mouvement sportif.

Je souhaite aussi aborder la question de la place des femmes dans le sport. Ce volet est essentiel : certaines victimes ont regretté l’absence ou le manque de femmes dans l’encadrement sportif, ce qui a empêché la libération de la parole. Il est vrai que le monde sportif – je pense aux entraîneurs et aux dirigeants – est éminemment masculin. Il faut donner envie aux jeunes sportives de s’investir. Promouvoir davantage le sport féminin, à la télévision notamment, peut constituer un premier pas vers la féminisation.

Pour revenir sur l’expérimentation en cours en Centre-Val de Loire, je précise que les contrôles portent sur les trois membres constituant le bureau de chaque club – le président, le trésorier et le secrétaire général -, ainsi que sur l’ensemble des éducateurs bénévoles en contact avec des enfants. Cette vérification concerne 10 000 personnes à l’échelon de la région ; sur la France entière, cela concernerait 1,8 million de bénévoles.

Notre objectif est de créer un seul et même fichier pour les 600 clubs de football du Centre-Val de Loire, l’idée étant d’étendre l’expérimentation à la France entière, à tous les sports collectifs, puis à tous les sports. Nous testons aujourd’hui notre capacité à croiser le nouveau fichier élaboré localement avec le Fijais. Nous souhaitons que les contrôles soient réalisés au niveau des régions, dans les directions régionales. Un bémol, cependant, le monde du sport souffre d’un tel entre-soi que, par le passé, tous les signalements n’ont pas été systématiquement remontés au niveau du ministère ou des tribunaux.

Pour autant, les contrôles seront renforcés : nous voulons systématiser l’application de l’article 40 du code de procédure pénale à tous les fonctionnaires ; nous vérifierons également qu’aucun de nos agents, qu’il soit en contact ou non avec des enfants, n’est inscrit au Fijais.

Enfin, je souhaite préciser l’un de mes propos : je parlais précédemment de la possibilité de révoquer l’accès des associations aux équipements. L’idée est de retirer à un club les créneaux horaires qu’il occupe au niveau d’un équipement sportif à partir du moment où des faits concernant ce club nous seraient remontés, sans que celui-ci s’en explique. Le contrat d’usage des équipements sportifs serait conditionné à une liste d’engagements que le club devrait respecter, convention qui constituerait un gage de qualité pour les parents.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. – Les affaires qui éclatent aujourd’hui étaient connues, mais la peur prévalait. Maintenant que le silence est brisé, madame la ministre, vous portez une immense responsabilité, vous et tous vos collègues du Gouvernement chargés de la jeunesse. Nous serons évidemment attentifs au plan d’actions que vous lancez.

Bien entendu, le Sénat poursuivra ses travaux pour évaluer l’opportunité de renforcer la loi, notamment les dispositions pénales, en vue de créer un cadre plus sécurisé. Mais tout ne relève pas de la loi : c’est aussi une question de moyens, ceux qui sont conférés à la justice, qui est parfois lente à réagir, mais aussi ceux qui sont dédiés au contrôle de l’application de la loi, ou ceux qui sont dévolus à la formation et à l’information. Il faut examiner comment le contrôle est organisé et comment la prévention se met en oeuvre.

Je vous remercie d’avoir répondu rapidement à notre sollicitation. Je vous souhaite bon courage pour le travail immense qu’il vous reste à accomplir.

La réunion est close à 12 h 35.