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La proposition de loi de la sénatrice Sylvie Robert, relative aux bibliothèques et au développement de la lecture publique, a été adoptée à l’unanimité par le Sénat ce mercredi 9 juin.
Pour la première fois, un texte consacre les bibliothèques dans notre droit, en précisant leurs missions et leurs fondements. Ainsi, la PPL grave les principes de liberté d’accès, de gratuité d’accès et de pluralisme des collections dans la loi.
Par ailleurs, il s’agit de mieux protéger les professionnels et de renforcer le développement de la lecture publique par les collectivités territoriales, notamment en favorisant l’établissement d’un schéma de lecture publique par les intercommunalités.
Désormais, la sénatrice souhaite l’inscription rapide de sa PPL à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, avec le soutien plein et entier du Gouvernement, afin que cette loi sur les bibliothèques devienne réalité. C’est une question de reconnaissance envers ces établissements, premier équipement culturel en France, et les bibliothécaires qui les font vivre.
Monsieur le Président,
Madame la Ministre,
Monsieur le Président de la commission,
Mes chers collègues,
Fallait-il une loi sur les bibliothèques ? Cette question peut paraître provocante, puisque proposant à vos suffrages ma proposition de loi relative aux bibliothèques et au développement de la lecture publique, la réponse semble aller de soi.
En réalité, elle témoigne du long cheminement qui a émaillé la réflexion autour de l’opportunité d’une loi sur les bibliothèques. Préciser, mais ne pas brider ; encadrer, mais ne pas enfermer ; l’équilibre à trouver n’a pas été aussi évident, et il a requis d’intenses réflexions avec le ministère de la Culture, les professionnels, mais aussi les collectivités territoriales et les élus. Cette proposition de loi est l’expression d’un compromis, unanime je pense pouvoir dire, en faveur de la reconnaissance de l’importance des bibliothèques et des bibliothécaires.
Elle est aussi l’expression de mon attachement profond aux bibliothèques, à toutes les bibliothèques et une reconnaissance pour les personnels qui les font vivre, et pour les millions de nos concitoyens qui, chaque jour, en poussent les portes, peu importe la raison.
Lire, parcourir les rayons évidemment ; mais aussi, écouter un auteur, visiter une exposition, participer à un débat, à un atelier pour refaire son CV ou pour réviser le bac, à un tournoi de jeux vidéo, aller sur Internet… et tant d’autres activités qu’il faudrait une DG entière pour être exhaustive ! En somme, la bibliothèque est une expérience culturelle, ludique, mais aussi sociale. Et la bibliothèque est ce lieu unique, exceptionnel qui ouvre à tous les possibles.
Ce qu’Umberto Eco, dans son opuscule De Biblioteca, appelle la « bibliothèque-univers » : « Si la bibliothèque est comme le veut Borges un modèle de l’Univers essayons de le transformer en un univers à la mesure de l’homme, une bibliothèque où l’on ait envie d’aller et qui progressivement se transforme en une grande machine pour le temps libre ». Un lieu de livres, évidemment ; mais également et tout simplement un lieu de vie.
Saint Augustin écrivait « Je crains l’homme d’un seul livre. » Dans notre époque marquée par la violence du débat politique, par le dogmatisme, par l’enfermement dans des certitudes souvent faciles, par le manichéisme, les bibliothèques s’imposent comme des lieux indispensables de respiration citoyenne et civique, des lieux d’émancipation où chacune et chacun peut se forger un esprit critique ; en somme, un lieu de raison et de libertés.
Et Je ne crois pas qu’il y ait eu de hasard lors de la construction de notre hémicycle en 1837 : c’est une bibliothèque qu’Adolphe Thiers a choisi de faire édifier à quelques pas de la salle des séances. Nous avons donc encore aujourd’hui le privilège de siéger à quelques mètres d’une des plus belles bibliothèques de France, qui nous offre souvent, et dans un cadre privilégié, l’occasion de prendre un peu de recul sur notre action politique et un peu de distance face à la vitesse de notre actualité contemporaine.
Plus concrètement, avec ma proposition de loi, j’ai souhaité porter deux objectifs :
- ancrer profondément les bibliothèques dans notre notre droit, d’une part ;
- conforter leur lien avec les collectivités territoriales, dans le plein respect de leur liberté de gestion, et renforcer les politiques publiques en matière de lecture publique d’autre part ;
J’ai souhaité tout d’abord ancrer profondément dans notre droit les bibliothèques.
Les dispositions qui les concernent ne représentent aujourd’hui que cinq articles dans le code du patrimoine, sans même une définition de leur mission, soit douze fois moins que pour les Archives… En réalité, mes chers collègues, il n’y a jamais eu dans notre pays de loi sur les bibliothèques !
Telle est la finalité de ma proposition de loi qui constitue, pour ces établissements, une « consécration législative » et, pour moi, l’aboutissement de plusieurs années de travail, de multiples rencontres ainsi que de réflexions nourries par mon expérience d’élue à la culture à Rennes et de travaux parlementaires.
Mon rapport parlementaire de 2015 sur l’adaptation et l’extension des horaires d’ouverture des bibliothèques a permis la mise en place d’un dispositif de soutien financier de l’Etat à destination des collectivités territoriales. Parallèlement, le sujet s’impose dans le débat public, conforté par la mission « Orsenna/Corbin » en 2018 et par le lancement, par le ministère de la Culture, d’un plan bibliothèques visant à ouvrir plus et mieux. Ce plan s’accompagnera d’une augmentation de la DGD de 8 millions d’euros, soit un investissement total de 88 millions d’euros. Enfin, j’ai présenté avec Colette Melot un rapport d’information consacré à l’évaluation de la politique publique en faveur de l’extension des horaires des bibliothèques devant la commission de la culture en juillet dernier.
De cette réflexion au long cours, est née la certitude qu’il fallait enfin donner un statut, des missions, en un mot : un cadre aux bibliothèques municipales, intercommunales et départementales qui font vivre nos territoires. Il était impératif de fixer plusieurs grands principes qui ont pu être remis en cause -y compris ces dernières semaines, alors même qu’ils sont au fondement des bibliothèques : pluralisme des courants d’idées et d’opinion, égalité, liberté et gratuité d’accès, neutralité du service public. Dans la très grande majorité des cas, ils sont déjà pratiqués au quotidien si bien que les énoncer les renforce et les conforte ; néanmoins, ils sécurisent juridiquement et peuvent prévenir des dérives que nous avons vues à l’œuvre récemment.
Avec cette proposition de loi, j’ai également voulu souligner le lien entre les collectivités territoriales et « leur » bibliothèque.
Je n’ai pas voulu imposer des contraintes supplémentaires ni des dépenses nouvelles. Nous savons trop, comme élus locaux, qu’il vaut mieux laisser l’initiative au plus proche du terrain et qu’il est préférable que la loi fixe les principes et objectifs généraux, tout en laissant la latitude aux collectivités pour y tendre. Mais je souhaite que les élus s’emparent pleinement du sujet et établissent, dans la cité, une véritable politique culturelle et éducative qui fasse rayonner les bibliothèques sur leur territoire.
En effet, comme élus, nous avons tous des témoignages, convergents -la semaine dernière encore en commission, de la capacité remarquable des bibliothécaires à réinventer leur métier et leur passion dans nos territoires. Les bibliothécaires sont dans une « évolution permanente » et font preuve d’une capacité à s’adapter et à créer, parfois avec peu de moyens, qui doit être saluée. C’est aussi grâce à eux, enfin surtout elles, que les bibliothèques, et je veux associer à cette idée Erik Orsenna et Noel Corbin, sont des endroits vivants qui ont su accompagner l’évolution des usages, avec le numérique, mais aussi inventer des activités, mettre à disposition des espaces…
Au-delà des symboles, les bibliothécaires attendaient depuis longtemps l’inscription dans la loi des missions des établissements, et je veux profiter de cette tribune pour leur témoigner ma reconnaissance, à la fois amicale et admirative pour leur travail au quotidien : leur sens du service public s’accorde parfaitement avec leur mission de service public.
Car mes bibliothèques constituent le seul service public où vous pouvez venir, en toute liberté et rester, toute la journée si tel est votre souhait, sans que personne ne vienne vous solliciter pour autre chose qu’un conseil. Ce sont des lieux de sociabilité et de croisements de toutes les populations, des lieux d’accueil, de bienveillance et d’hospitalité.
Si j’ai volontairement recherché, dans la proposition de loi, le consensus le plus large, il n’en reste pas moins que des sujets essentiels attendent encore d’être traités. Il y a également un « chaînage vertueux » entre les collectivités territoriales et les bibliothécaires à consolider.
Cette première lecture constitue un moment très important, et je m’adresse à Madame la Ministre, car je sais pouvoir compter sur votre engagement et votre force de conviction. Mais elle est aussi une première étape qui en appelle au moins deux autres avant la fin de cette année.
Tout d’abord, nous aurons à reparler très prochainement des bibliothèques départementales, et assurément de la situation en outre-mer, probablement dans le cadre de l’examen de la future loi « 4D/3Ds», annoncée en juillet au Sénat.
Ensuite, il nous faudra, dans le cadre du prochain projet de loi de finances, nous assurer tous ensemble de la pérennisation des moyens des bibliothèques qui ont bénéficié, ces dernières années, de crédits supplémentaires au sein de la dotation générale de décentralisation.
Cet effort ne doit pas rester sans lendemain, et il faut d’ores et déjà mener le combat pour que ces crédits deviennent pérennes, tant les premiers résultats enregistrés ont été spectaculaires en termes d’adaptation et d’ouverture aux publics.
Voilà, Monsieur le Président, Madame la Ministre, mes chers collègues, l’esprit qui m’anime et qui fonde la proposition de loi que j’ai l’honneur et le plaisir de vous présenter aujourd’hui.
Je suis bien évidemment sensible à la concomitance de la présentation de ma proposition de loi avec celle de ma collègue et amie Laure Darcos, hier, sur l’économie du livre. Je trouve que c’est une séquence sénatoriale importante que nous traversons autour et en faveur du livre et de la lecture publique.
En deux jours, le Senat se sera honoré en débattant pleinement de l’ensemble de la chaine du livre, ce qui témoigne, une nouvelle fois, de notre engagement sans faille en faveur de la culture et de toutes celles et tous ceux qui la font vivre.
Je vous remercie pour votre attention.