INTERVENTION DEBAT PREALABLE CONSEIL EUROPEEN – 8 MINUTES

Monsieur le Président, Madame la Ministre, Mes chers Collègues,

Le Conseil européen des 22 et 23 mars prochains se déroule dans un contexte où l’instabilité et les inquiétudes s’intensifient. L’imposition de droits de douane sur les importations d’aluminium et d’acier aux Etats-Unis ainsi que les tensions accrues avec la Russie tendent encore davantage les relations diplomatiques.

En interne, l’Union européenne doit avancer tangiblement sur des dossiers cruciaux, qui détermineront son avenir à moyen-terme, parmi lesquels la question de son budget après 2020, la sortie du Royaume-Uni ou encore l’amélioration du dialogue social. Ce conseil a donc un rôle majeur à jouer en termes d’impulsion politique, d’autant plus qu’il est situé à un an des élections européennes.

Il sera l’occasion de vérifier, ni plus ni moins, l’ambition des chefs d’Etats pour l’Europe, à un moment où il se révèle impérieux d’amener de la certitude à l’incertitude, de répondre aux doutes par, a minima, des feuilles de route claires qui fixent un horizon précis à l’Union européenne. Le flottement n’est plus possible.

Le premier sujet, fondamental pour le futur de l’Union, est celui du budget. Chaque nouveau débat sur le cadre financier pluriannuel (CFP) s’avère un véritable serpent de mer qui se déploie au cours d’un processus long et de négociations âpres. Certains thèmes reviennent systématiquement, à l’image de celui des ressources propres.

Pour autant, le CFP post 2020 revêt une importance toute particulière. En effet, le Brexit va créer un manque à gagner estimé entre 12 et 13 milliards d’euros par an, soit 10 à 15% des ressources propres de l’Union. En parallèle, la Commission et les dirigeants des Etats membres n’ont de cesse d’exprimer leur volonté de voir l’UE monter en puissance sur un certain nombre de missions, pour le moins, non négligeables ; c’est par exemple le cas en matière d’asile et de gestion des flux migratoires, de défense et de sécurité européennes, de soutien à l’industrie et à l’innovation. Autrement dit, le CFP post 2020 est une équation : comment répondre à l’ensemble des défis, toujours plus nombreux, qui se posent à l’Union européenne sans la contribution du Royaume-Uni ?

La réponse logique voudrait qu’il faille augmenter le montant du budget actuel. D’ailleurs, plusieurs parlementaires européens ont d’ores et déjà alerté qu’au regard des politiques croissantes menées par l’Union, le budget devrait être porté à 1,3% du PIB européen –pour rappel, il est actuellement à 1%, quand il représentait 1,25% du PIB de l’UE en 1999. Pour ce faire, ils exhortent à accroître les ressources propres de l’UE, à travers la taxe sur les transaction financières ou la mise en place d’un ajustement carbone aux frontières de l’Union.

Or, étrangement, toute réforme sur les recettes supplémentaires à accorder à l’Union européenne semble être reportée à après 2020, alors que son acuité n’a jamais été aussi forte (cf les propositions du groupe Monti) ! Avoir une réelle ambition pour l’Europe, aujourd’hui, oblige à élargir les ressources propres de l’UE. Par-delà les éventuelles hausses de contribution des Etats membres, nous ne pouvons pas décaler, encore une fois, les négociations sur cette thématique. C’est le moment idoine !

Par conséquent, Madame la ministre, le Gouvernement est-il prêt à appuyer l’idée d’une augmentation des ressources propres de l’Union ? Sans cela, ce sont les politiques européennes traditionnelles qui risquent d’en subir les conséquences : la PAC et les politiques de cohésion au premier chef. Ce serait une erreur colossale !

Vous connaissez notre attachement, ici au Sénat, à ces deux politiques structurelles qui permettent d’établir un lien direct entre Bruxelles et tous les territoires, de lutter contre le sentiment d’éloignement que peuvent ressentir les citoyens européens à l’égard de l’UE, de tout simplement rendre concrets les bienfaits apportés par l’Union européenne, qui apparaissent si souvent évanescents.

Dans le climat actuel, caractérisé par une montée généralisée du populisme ainsi que par une critique facile à l’encontre des institutions européennes, la PAC et les politiques de cohésion sont précieuses. Il convient de les préserver à tout prix, tout en assurant à l’UE d’avoir les moyens de répondre aux nouveaux enjeux. Il convient de ne pas oublier, encore plus pour l’Union, que le budget n’est pas uniquement un instrument financier ; il est l’expression de choix politiques traduisant une ambition. Et notre groupe a une ambition maximale pour l’Europe.

Nous espérons aussi que cette ambition se retrouvera dans les futures propositions franco-allemandes relatives à la réforme de la zone euro. Nous souhaitons qu’elles restent fidèles à la demande de rééquilibrage portée de manière continue depuis le précédent quinquennat et qu’elles transcrivent cet esprit de solidarité qui a tant fait défaut à l’Union économique et monétaire. Pour être harmonieux, le destin de l’Europe ne peut être qu’équilibré et solidaire.

Avoir une ambition pour l’Europe, c’est regarder vers l’avenir et donc vers la jeunesse. Le programme Erasmus, peut-être davantage que tout autre de l’Union européenne, a fait ses preuves et est reconnu. De nombreux étudiants ont bénéficié et bénéficient encore de cette ouverture à l’Europe, de la richesse d’un séjour dans un autre pays membre ; et au retour de leur expérience, ils deviennent, en un sens, des ambassadeurs de l’Europe qui incarnent, concrètement, cette idée d’Union des peuples européens.

Ainsi, il est heureux que les ministres de l’Education aient annoncé, unanimement, leur volonté de renforcer considérablement Erasmus. Certains prônent un doublement de la dotation, fixée à 14,7 milliards d’euros pour la période 2014-2020, d’autres un triplement.

Néanmoins, au-delà de la problématique afférente au montant du programme, plusieurs questions se révèlent pertinentes : quid de l’ouverture d’Erasmus à l’enseignement professionnel (voire au secondaire ou aux jeunes diplômés comme quelques Etats membres le recommandent) ? Surtout, quelles sont les garanties afin de rester dans un système d’octroi de subventions, plutôt que de tendre vers un système de prêts ? Nous aimerions avoir des précisions sur ce point, Madame la Ministre, car Erasmus doit pouvoir profiter à l’ensemble des jeunes et non à certains privilégiés qui auraient un capital financier de départ plus substantiel.

Enfin, dans nos rangs, vous le savez, notre ambition a toujours été sociale. Jacques Delors a lancé ce mouvement essentiel, car le marché unique sans le bien-être social des citoyens européens n’a que peu d’intérêt. Pourtant, ce dialogue social européen s’est amplement essoufflé ces deux dernières décennies.

C’est pourquoi, nous ne pouvons que nous réjouir des récentes avancées qui consolident le pilier social. La proposition de la Commission concernant la création d’une Autorité européenne du travail était attendue. Elle ne sera pas la résultante d’une fusion entre les agences existantes et aura comme principale tâche, en tout cas dans l’immédiat, de garantir la libre circulation des travailleurs, dans le respect des règles européennes en matière de détachement.

Par ailleurs, elle se concentrera sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, ce qui fait écho à l’initiative de la Commission visant à améliorer l’accès à protection sociale. Élargir la couverture sociale à tous les travailleurs et rendre plus effectifs les droits sociaux des citoyens sont des objectifs qui donnent tout son sens à l’Union européenne : protéger et améliorer le quotidien de chacun.

Les vingt principes du socle européen des droits sociaux, proclamés l’automne dernier, assoient cette finalité sociale de l’UE. Sans attendre les actes juridiques européens, qui donneront corps à ces principes, la Commission a encouragé les Etats membres à les traduire, in concreto, dans leur ordre interne. Quelle position adoptera le Gouvernement ?

Il en va de l’égalité entre les femmes et les hommes, de l’équilibre entre la vie professionnelle et la vie privée, du dialogue social dans l’entreprise ; en somme, de thèmes sociaux majeurs, à l’actualité si contemporaine et aux incidences si multiples (congé de paternité, égalité salariale, rôle de l’entreprise etc.).

Ce Conseil européen n’est pas anodin. Il permettra de jauger de l’ambition des Etats membres pour l’Europe. Nous espérons que le Président de la République saura mettre en conformité ses déclarations avec des engagements tangibles et élevés au service de l’UE, au service de ses citoyens.

Je vous remercie.

SÉANCE
du mercredi 21 mars 2018
67e séance de la session ordinaire 2017-2018
présidence de M. David Assouline, vice-président
Secrétaires : Mme Mireille Jouve, M. Victorin Lurel.

La séance est ouverte à 14 h 30.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d’usage.

AVIS SUR UNE NOMINATION

  1. le président.– En application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, ainsi que de la loi organique et de la loi du 23 juillet 2010 prises pour son application, la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable a émis un avis favorable à la nomination de M. Gilles Leblanc aux fonctions de président de l’Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires.

DÉBAT PRÉALABLE AU CONSEIL EUROPÉEN

  1. le président.– L’ordre du jour appelle un débat préalable à la réunion du Conseil européen des 22 et 23 mars.

Mme Sylvie Robert . – L’instabilité et les inquiétudes s’intensifient. Les tensions diplomatiques s’accroissent avec les États-Unis et la Russie. Ce Conseil a un rôle majeur à jouer. Il sera l’occasion de vérifier l’ambition des chefs d’État pour l’Union européenne. La Commission et les dirigeants répètent qu’ils veulent voir l’Union européenne jouer un rôle accru.

Il faudrait augmenter le budget européen actuel. Il était de 1,25 % du PIB européen en 1999, pour 1 % aujourd’hui, et la Commission européenne voudrait le plafonner à 1,1 %…

Les États membres ont acté une baisse des ressources avec la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne. Pourtant on ne fait pas plus avec moins. Le Gouvernement est-il prêt à défendre une augmentation des ressources propres de l’Union européenne ? Sinon, la PAC et les politiques de cohésion en pâtiraient. Vous connaissez l’attachement du Sénat à ces politiques.

En ces temps de progrès généralisés du populisme, il est indispensable de rendre concrètes les avancées de l’Union européenne. À ce titre, la PAC et la politique de cohésion sont précieuses.

N’oublions pas que le budget européen est avant tout l’expression de choix politiques qui traduisent une ambition. Cette ambition doit être exprimée par la feuille de route de la réforme de la zone euro attendue pour juin. Or l’achèvement de l’union bancaire est en difficulté, les fonds de cohésion risquent d’être conditionnés à des réformes structurelles… Attention à ne pas tenir les collectivités territoriales pour responsables des choix budgétaires des gouvernements !

Erasmus a fait ses preuves, fabriquant des ambassadeurs de l’Europe. Les ministres de l’Éducation veulent doubler voire tripler sa dotation ; son ouverture à l’enseignement professionnel, voire au secondaire ou aux jeunes diplômés, est envisagée. Y a-t-il un risque de substitution d’un système de bourses à un système de prêts ? Erasmus ne doit pas être réservé à ceux qui ont un capital de départ.

Notre groupe est attaché au dialogue social européen, qui s’est essoufflé depuis vingt ans. Je me réjouis des avancées sur le pilier social : création de l’autorité européenne du travail, pour garantir la libre circulation des travailleurs, élargissement de la protection sociale à tous les travailleurs. Les vingt principes du socle européen des droits sociaux assoient cette ambition sociale de l’Union ; le Conseil européen a invité les États à l’inscrire dans leur ordre interne. Où en est le Gouvernement ?

Enfin, ce Conseil européen permettra de jauger l’ambition européenne des États membres. Espérons que le président de la République mettra ses actes en conformité avec ses déclarations, en prenant des engagements tangibles au service des citoyens. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR ; Mmes Christine Prunaud et Annick Billon applaudissent également.)

Mme Sylvie Robert . – M. Vaugrenard aurait voulu vous poser la question suivante, qui a trait aux droits sociaux. Ceux qui travaillent à temps partiel ou sans être salariés représentent 40 % des emplois. Ces personnes n’ont pas toujours une bonne couverture sociale, ne bénéficient pas systématiquement d’une assurance chômage et n’ont pas obligatoirement accès à des droits à pension. La proposition de la Commission européenne en la matière vise donc à fixer un cap aux États membres afin de favoriser l’accès à la protection sociale pour tous les travailleurs salariés ou non. Cela va dans le bon sens, mais la lenteur de l’application des décisions est patente.

Les négociations à 27 sont très difficiles et complexes. Il est urgent de modifier les lourdeurs du processus de décision européen et de réfléchir à la remise en cause du recours systématique et absolu à l’unanimité, pour rendre possibles des décisions à la majorité, ou à géométrie variable, au moins sur les droits sociaux. Le Gouvernement partage-t-il cette ambition ?

  1. le président.– Amendement n°138, présenté par Mme S. Robert et les membres du groupe socialiste et républicain.

Alinéa 5

Compléter cet alinéa par les mots :

et que l’intéressé puisse exprimer son point de vue et contester la décision

Mme Sylvie Robert. – Dans le cadre de décisions administratives individuelles, prises sur le fondement d’un algorithme, l’intéressé doit pouvoir exprimer son point de vue et surtout, contester la décision qui en résulte. Nous renforçons le droit au recours.

Je félicite le rapporteur pour sa réécriture pertinente de l’article 14, qui apporte des garanties supplémentaires. Il y a quelques semaines, nous discutions de Parcoursup, un algorithme central appareillé à des algorithmes locaux. C’est une question importante, qui mérite débat. APB a montré que l’opacité empêchait la confiance.

  1. le président.– Amendement n°99, présenté par le Gouvernement.

Alinéa 9

Mme Sylvie Robert. – Il y avait un angle mort dans le texte sur les universités, qui nous laissait sur notre faim, avec le dépôt de l’amendement du Gouvernement et surtout notre amendement, Madame la Présidente Morin-Desailly, que nous n’avions pas pu défendre. À la faveur de ce débat, nous devions en reparler.

Je comprends bien que, dans l’urgence, notre position mettrait les établissements dans la difficulté. Les universités mettront en place des algorithmes « maison », en fonction du nombre de dossiers. Si nous avons l’engagement que la transparence est respectée, que les principes seront inscrits dans la loi, cela participera de la confiance que les citoyens doivent avoir non seulement à l’égard des algorithmes, mais aussi de la loi en général, nous pouvons nous rallier à la position de la rapporteure.

La séance, suspendue à 20 h 5, reprend à 21 h 35.

L’amendement n°24 rectifié bis est adopté et devient un article additionnel.

L’article 14 bis est adopté.

ARTICLE 15

  1. le président.– Amendement n°140, présenté par Mme S. Robert et les membres du groupe socialiste et républicain.

Au début de cet article

Insérer un paragraphe ainsi rédigé :

… – À la première phrase du premier alinéa du II de l’article 40 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, les mots : « lorsque la personne concernée était mineure au moment de la collecte » sont supprimés.

Mme Sylvie Robert. – « Quand faut-il se souvenir ? Quand est-il préférable d’oublier ? » se demande l’écrivain Kazuo Ishiguro… Ne pas étendre ce droit, c’est affaiblir la protection des données et de la vie privée.

La loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique a représenté une avancée en créant un droit à l’oubli « lorsque la personne concernée est mineure au moment de la collecte » des données. Cet amendement étend ce droit à toute personne, indépendamment de son âge au moment de la collecte des données. En effet, il est difficile de justifier d’une ouverture que partielle de ce droit ; à l’ère du numérique, l’ensemble des individus doivent pouvoir en faire usage au nom du principe d’autodétermination informationnelle et de la protection des données à caractère personnel, qui sont utilisées pour toutes sortes de tâches.

L’amendement n°140 est retiré.

  1. le président.– Amendement n°141, présenté par Mme S. Robert et les membres du groupe socialiste et républicain.

Au début de cet article

Insérer un paragraphe ainsi rédigé :

… – À la seconde phrase du premier alinéa du II de l’article 40 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, après la première occurrence des mots : « celles-ci » sont insérés les mots : « sur l’ensemble des extensions du traitement ».

Mme Sylvie Robert. – En 2014, le CJUE a estimé que les moteurs de recherche entraient dans le champ des règles relatives à la protection des données personnelles, et instauré un droit au déréférencement. Sa portée territoriale n’a toutefois pas été précisée : le déréférencement doit-il tenir compte du lieu d’où l’on effectue une recherche – ou bien est-il de portée mondiale ?

Cet amendement confère une pleine portée territoriale au droit au déréférencement, en précisant que les moteurs de recherche responsables de traitements sont tenus de l’appliquer en effaçant tout lien sur l’ensemble de leurs extensions.

L’avis du Gouvernement, à tout le moins, serait utile.

Mme Sophie Joissains, rapporteur. – Le droit à l’oubli a vocation à s’appliquer partout. Les CNIL européennes se sont rapprochées pour le préciser et plusieurs contentieux sont en cours. Restons-en là.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. – Même avis.

Mme Sylvie Robert. – Soit, mais il fallait en parler car c’est un vrai sujet.

L’amendement n°141 est retiré.

  1. le président.– Amendement n°139, présenté par Mme S. Robert et MM. Durain, Sutour, Sueur et Kanner.

Alinéa 2, première phrase

Après le mot :

risque

insérer le mot :

élevé

Mme Sylvie Robert. – Cet amendement rédactionnel encadre davantage les dérogations prévues au droit à la communication d’une violation de données.

Mme Sophie Joissains, rapporteur. – Vous diminuez en fait la protection… N’y a-t-il pas une erreur de rédaction ? Avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. – Même avis.