INTERVENTION PPL DROIT VOISIN AU PROFIT DES AGENCES ET EDITEURS DE PRESSE

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes chers Collègues,

« La plus sacrée, la plus personnelle de toutes les propriétés est l’ouvrage, fruit de la pensée de l’écrivain. Comme il est extrêmement juste que les hommes qui cultivent le domaine de la pensée tirent quelques fruits de leur travail, il faut que pendant toute une vie, et quelques années après leur mort, personne ne puisse disposer sans leur consentement du produit de leur génie. Mais aussi, après le délai fixé, la propriété du public commence, et tout le monde doit pouvoir imprimer, publier les ouvrages qui ont contribué à éclairer l’esprit humain. »

C’est par ces mots qu’Isaac Le Chapelier, député de l’Assemblée constituante, expose les fondements du droit d’auteur introduit dans la loi des 13-19 janvier 1791. Dès l’origine, il est conçu comme le juste compromis entre deux objectifs distincts mais aucunement contradictoires : d’une part la rémunération du créateur pour son œuvre et d’autre part, son exposition la plus large au public.

Comme il est éclairant de constater qu’en un peu plus de deux siècles, les soubassements du débat n’ont que peu évolué. Les avancées techniques et technologiques ont certes actualisé et affiné les enjeux, mais in fine, la problématique centrale reste la même.

Plus que toute autre, la révolution numérique a exacerbé la tension entre respect du droit d’auteur et accès à l’information. D’ailleurs, cet idéal d’accessibilité infinie à des contenus multiples sous-tend la philosophie originelle d’Internet, pensé comme un espace complètement ouvert et déréglementé. Cette vision a progressivement instillé une culture de la gratuité et donné l’impression aux utilisateurs que tout était libre de droits.

Ce phénomène a été accentué par l’effet réseau propre au numérique. Le partage instantané, continu de connaissances ou d’actualités s’est trouvé démultiplié. Sur ce point, les réseaux sociaux ont même renversé le paradigme : avec l’aspiration de données personnelles toujours plus nombreuses et des algorithmes de plus en plus sophistiqués, ce n’est plus l’usager qui part à la recherche de l’information, ce sont les réseaux qui lui apportent.

Naturellement, ces mutations très rapides ont ébranlé l’économie des médias, singulièrement le secteur de la presse. Pour illustrer, rappelons simplement qu’en 2009, 7 milliards d’exemplaires de journaux étaient écoulés alors qu’aujourd’hui, ce chiffre atteint 4 milliards. De manière analogue, leurs recettes publicitaires chutent de 7,5% par an, tandis que dans le même temps, le marché de la publicité numérique augmente de 12% par an.

Il se révèle donc indispensable que le législateur intervienne afin de mieux réguler l’ensemble de la chaîne et que le partage de la plus-value entre les journalistes, les agences ou éditeurs de presse et les plateformes, tirée des contenus, soit équitable. La présente proposition de loi (PPL) participe de ce rééquilibrage global et s’inscrit dans la tradition française de défense du droit d’auteur, sans lequel les créations de l’esprit seraient limitées.

Plus précisément, cette PPL vise à établir un droit voisin au profit des agences et éditeurs de presse, assis sur les moteurs de recherche et les réseaux sociaux. Elle est une réponse aux pratiques courantes consistant à reproduire des articles, photos, caricatures ou vidéos publiés par des médias, sans en avoir leur autorisation. Si ces procédés sont générateurs de richesses pour les plateformes, en particulier grâce aux snippets, ils induisent un manque à gagner considérable pour la presse qui, en l’état, est dans l’incapacité juridique d’opposer un droit à rémunération pour des contenus pourtant crées ou légalement acquis.

En d’autres termes, cette PPL est prioritairement une question de justice, la justice étant définie par Benjamin Franklin comme le fait de « ne faire jamais de mal à autrui, soit en causant une perte réelle, soit en privant d’un gain légitime ». Or, les agences et éditeurs de presse sont aujourd’hui privés de ce « gain légitime » et doivent faire à une captation de la valeur dérivant de leur travail par les intermédiaires qui le mettent à disposition sur le web.

Indirectement, ce texte est donc un moyen de valoriser l’activité des médias et le métier de journaliste. A l’heure où tout le monde peut être producteur et diffuseur de contenus, sans hiérarchisation de leur pertinence, il est fondamental de mettre en lumière le rôle essentiel d’éditorialisation des titres de presse.

A cet égard, le rapport Franceschini, adressé au Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique en février 2018, souligne que la création d’un droit voisin est « la reconnaissance (…) du rôle indispensable et de l’importance du métier de l’éditeur de presse pour assurer l’exercice du droit à l’information ». Il s’agit d’un enjeu démocratique d’autant plus éminent que les fake news, à l’image de celles relatives au nouveau Traité de l’Elysée signé cette semaine, prospèrent.

Cependant, conférer ce droit implique, en aval, que les agences et éditeurs de presse se montrent toujours plus responsables dans la qualité de l’information produite. D’aucuns ont exprimé des craintes quant à son éventuelle dégradation, une « course aux clics » pouvant s’engager en vue d’obtenir davantage de recettes.

Premièrement, il est possible de rétorquer que les médias d’information générale affrontent d’ores et déjà cette situation, par l’intermédiaire des snippets, sans que pour autant, le traitement de l’actualité se soit détérioré. Au contraire, nombre d’entre eux ont mis en place des modules pour combattre les contre-vérités et apporter des éléments factuels aux citoyens. Ensuite, le modèle économique de la plupart de ces titres repose également sur les abonnés qui attendent un professionnalisme certain, voire des analyses détaillées et argumentées. Par conséquent, faire montre de légèreté du jour au lendemain pourrait s’avérer amplement contre productif.

Enfin, l’article 3 de la proposition de loi ouvre la possibilité aux éditeurs et agences de presse de déléguer la gestion de leurs droits à des organismes de gestion collective, forme de déclinaison de ce qui se fait dans la filière musicale. A terme, de par les retombées financières, il peut être espéré que les moyens des rédactions progressent, augurant ainsi d’une amélioration substantielle de la qualité de l’information. Autrement dit, un cercle vertueux peut clairement prendre racine.

A cet égard, le mode de gestion collective, en plein essor suite à l’avènement du numérique, présente plusieurs avantages. En premier lieu, il permet de fluidifier l’accès aux contenus, l’usager n’ayant pas à effectuer de démarches particulières auprès de chaque média. Surtout, devant le poids représenté par les GAFAM, il est de nature à équilibrer le rapport de force et à garantir aux éditeurs et agences de presse une rémunération plus équitable. En étant regroupés, leur pouvoir de négociation est plus important que dans l’hypothèse où ils devraient entamer individuellement des discussions.

En outre, l’un des débats majeurs autour de cette PPL a trait à la durée des droits voisins nouvellement instaurés. Dans le droit commun français, cette durée est généralement fixée à 50 ans. En commission, il a été décidé de la porter à 20 ans pour tenir compte des spécificités du secteur de la presse.

D’autres amendements, dont nous discuterons ultérieurement, proposent encore de l’abaisser à 5 ans afin de prendre en considération la position de la France au niveau européen. Sans préjuger de leur issue, je crois qu’il est primordial que ce sujet ne soit pas un point d’achoppement, d’autant que la directive européenne en cours de discussion détermine une durée encore différente. En revanche, ce qui apparaît vital, c’est l’ouverture de ce droit voisin et le signal politique qui est envoyé : nous n’abandonnons ni le secteur de la presse ni les médias traditionnels ; les pouvoirs publics n’ont pas abdiqué face à l’omnipotence des GAFAM.

Sans remettre en cause leur apport aux sociétés, il me semble indispensable de démontrer, à quelques encablures des élections européennes et dans le contexte national mouvementé que nous connaissons, que l’Etat a toujours un pouvoir de régulation des secteurs économiques et un rôle de protection des acteurs fragilisés ; en somme, qu’il est le garant d’un équilibre que les GAFAM ont épisodiquement tendance à oublier, bien qu’il soit source de stabilité et de progrès pour tous, plutôt que pour quelques-uns.

La protection légitime accordée aux agences et éditeurs de presse, par l’octroi d’un droit voisin, revêt un intérêt démocratique aiguë dans l’Union européenne d’aujourd’hui. Faut-il mentionner que dans plusieurs pays, la dérive de l’Etat de droit constatée passe systématiquement par l’affaiblissement des médias, notamment publics, ainsi que par le contournement et l’édiction de nouvelles règles constitutionnelles pour réformer et organiser la captation du secteur ?

Derrière les dispositions de cette PPL, qui peuvent parfois paraître techniques, et par-delà les considérations financières pour les structures concernées, ce qui est en jeu est notre faculté à maintenir notre modèle démocratique que les médias, les journaux, par leur indépendance, par le pluralisme des opinions qu’ils expriment participent à faire vivre.

Ils en sont une composante cardinale qui est menacée, car l’information véridique est de plus en plus balayée au profit de propagandes servant à la conquête du pouvoir et qu’elle a bien du mal à exister en tant qu’élément fondateur des termes du débat démocratique. Néanmoins, le corollaire de ce noble rôle de rempart, de vigie démocratiques, c’est le respect des règles déontologiques élémentaires et l’exigence d’une information de qualité que j’évoquais précédemment.

Alors, il n’est pas encore assuré que la directive européenne qui crée un droit voisin par son article 11 soit adoptée. Vous le savez, le trilogue a été reporté, et les divergences entre Etats membres sont réelles. L’adage dit qu’il ne faut jamais insulter l’avenir, soyons prudents.

Avec cette proposition de loi, nous avons l’opportunité d’agir dès à présent en faveur de la presse et de remettre de l’équité dans l’ensemble du système, tout en l’adaptant aux évolutions des usages qui découlent du numérique.

En l’adoptant, nous serions fidèles à la tradition de la France, toujours en première ligne pour défendre le droit d’auteur de façon raisonnée mais résolue, tel Beaumarchais qui écrivait dans sa pétition de 1791 à l’Assemblée nationale contre l’usurpation des propriétés des auteurs, par des directeurs de spectacles « ma propriété seule, comme auteur dramatique, plus sacrée que toutes les autres, car elle ne me vient de personne, n’est pas sujette à conteste, pour dol, ou fraude, ou séduction ; l’œuvre sortie de mon cerveau ».

Je vous remercie.

COMMUNIQUE DE PRESSE : SYLVIE ROBERT SE REJOUIT DE L’ADOPTION DE DEUX PROPOSITIONS DE LOI SOCIALISTES

Dans le cadre de l’espace réservé aux sénateurs socialistes, deux propositions de loi (PPL) allant dans le sens d’une plus grande justice ont été adoptées. C’est d’abord le cas de la PPL visant à renforcer la place des communes au sein des intercommunalités.

Dans une période marquée par une profonde crise de la représentation, cette PPL a pour finalité d’améliorer la représentation des petites communes au sein des conseils communautaires. Ce rééquilibrage vise à répondre au sentiment d’éloignement de la prise de décision ainsi qu’à celui de dépossession ressenti par nombre d’élus, ruraux notamment. Pour ce faire, le texte assouplit les règles de conclusion d’un accord local et renforce l’information des conseillers municipaux. Malgré l’opposition du Gouvernement cette PPL a été votée à une grande majorité.

D’autre part, le Sénat a adopté à l’unanimité une proposition de loi socialiste créant un droit voisin au profit des agences et éditeurs de presse. Concrètement, il s’agit de permettre à ces acteurs d’être rémunérés pour l’exploitation et la diffusion de leurs contenus (articles, photos, vidéos etc.) par les plateformes du net (Google, Facebook …).

Cette mesure doit mettre fin à la captation injuste, par les GAFA, des richesses générées par le travail des journalistes. En tant que cheffe de file du groupe socialiste sur cette PPL, je l’ai résumé ainsi : « nous avons l’opportunité d’agir dès à présent en faveur de la presse et de remettre de l’équité dans l’ensemble du système, tout en l’adaptant aux évolutions des usages qui découlent du numérique ».