Journal Ouest-France du mercredi 9 mars 2016
Yvon Le Men dit Maurepas comme personne
Le poète a passé trois mois en résidence au cœur du quartier, en 2015. Il raconte ce vécu et les rencontres qu’il y a faites dans un livre, illustré par Emmanuel Lepage. Sublime.
Coup de cœur
Il est du Trégor, il vit à Lannion, mais il a fait ses études à Rennes, dans les années 1970. Début 2015, la Ville l’a invité à revenir, de mars à mai, pour une résidence d’artiste inédite, au cœur de Maurepas.
Le poète Yvon Le Men y a côtoyé les habitants. Partagé leur quotidien. Rencontré les gens. Animé des rencontres.
« Le rêve était grand »
De cet étrange voyage en terre supposée connue, Yvon Le Men a tiré un livre carré, Les rumeurs de Babel, publié par les Brestois des éditions Dialogues. Un témoignage à nul autre pareil, un long poème-reportage, sans ponctuation, sans détours et sans fard, sublimé par les lumineuses aquarelles du dessinateur rennais Emmanuel Lepage.
Avec eux, on cherche à comprendre, en vers, comment ce fruit des Trente Glorieuses, aujourd’hui « perdu entre deux temps / deux époques / mal cousues / qui craquent entre elles », n’a pas tenu ses promesses. « Pourtant / le rêve Maurepas / était grand » et « la vie était belle » quand les premiers habitants sont arrivés.
« Le bruit déborde de partout »
La pauvreté ? À Maurepas, « dix pour cent des gens vivent avec / devinez quoi ? / soixante-sept euros par mois / […] cinquante pour cent des gens vivent avec / devinez quoi ? / neuf cent trente et un euros par mois », dit le poète qui sait aussi faire rimer chiffres et statistiques. « Tous les cinq ans / la moitié des gens s’en vont ». Ici, « les vies se renouvellent trop vite / pour avoir le temps d’échanger ».
Cette accélération-là fait que l’on ne se connaît plus. On ne se comprend plus. On ne se parle plus. Et, surtout… on ne s’entend plus. Dans les tours aux cloisons de papiers, les rues qui bruissent de mille langues, un ennemi invisible règne en maître. Son nom ? Le bruit. « Maurepas ne dort pas. On entend tout, tout le temps. Pour moi qui viens du silence, c‘est une souffrance, confesse Yvon Le Men. À Maurepas, qu’on le veuille ou non, nous sommes ensemble par le bruit qui déborde de partout. »
« Il faut des bons voisins »
Bien d’autres maux (la peur de l’autre, le racisme ordinaire, la pauvreté, les dealers, les querelles de voisinage, l’alcool…) et beaucoup de bien (l’amour, la famille, les enfants qui réussissent, le pardon…) se percutent dans ce portrait d’une touchante humanité de ceux qui vivent là. On a envie, avec Yvon Le Menn, que la deuxième ligne de métro, en train de se creuser sous leurs pieds, leur fasse la vie belle à nouveau.
En attendant, les enfants sur leurs balançoires « s’envoient au ciel / quand le tunnel s’envoie en terre ». Et l’on peut douter, avec lui, qu’une station neuve suffise « pour éviter que le futur ne s’aggrave ». Sa recette pour retrouver le bonheur : « plus que le métro / plus que du boulot / il faut / des bons voisins ». Et un brin de poésie.
Ça se lit d’un seul tenant. Comme dans un souffle. C’est simple et beau. Vrai. Essentiel.
Les rumeurs de Babel, Yvon Le Men, illustrations d’Emmanuel Lepage, éditions dialogues, 188 pages.
Stéphane VERNAY.