Projet de loi de finances pour 2018 Mission Médias, livre et industries culturelles

Intervention de Sylvie ROBERT (SOCR)

INTERVENTION PLF 2018 MISSION MÉDIAS, LIVRES ET INDUSTRIES CULTURELLES

(5 minutes)
Monsieur le Président,
Madame la ministre,
Mes chers collègues,

L’information est la bataille du XXIème siècle. Avec l’avènement et la profusion du numérique, elle est encore plus qu’auparavant un enjeu central de puissance et d’influence. Instrument décisif, elle peut influer le cours des évènements de manière inattendue et irréversible, comme de nombreux faits récents l’attestent.

En effet, par l’intermédiaire du numérique, en particulier des réseaux sociaux, beaucoup de citoyens du monde entier ont un accès direct, instantané et continu à l’information. L’effet réseau inhérent à Internet accélère sa transmission et démultiplie ainsi sa portée.

Pour autant, le corollaire négatif de cette évolution réside dans la prolifération d’informations non sourcées, voire de fausses informations, (les notoires « fake news ») à des fins politiques. Leur impact est d’autant plus dévastateur que, comme précisé précédemment, elles se diffusent à un rythme échevelé.

De surcroît, par le jeu des algorithmes, l’individu n’a plus nécessairement besoin de rechercher l’information, puisque c’est elle qui vient à lui, en fonction de ses intérêts, de ses opinions et de ses croyances. Le risque est donc grand d’accéder non pas à une information brute, objective, mais à une information biaisée, orientée de telle sorte qu’elle soit conforme aux pensées de la personne et le conforte dans ses choix. C’est ce que d’aucuns nomment la « communautarisation de l’information » qui participe du renfermement des individus et de la segmentation de la société. Dans ce schéma, les espaces de dialogue et de confrontation d’idées cèdent à l’affrontement entre propagandes, effaçant, pour ne pas dire détruisant, l’information elle-même.

C’est pourquoi, le rôle des médias classiques, singulièrement de la presse écrite, est encore plus essentiel aujourd’hui. Lutter contre les tentations et les tendances à la post-vérité, rétablir les faits à travers des articles pédagogiques (ce qui est souvent dénommé « fact-checking) et apporter au lecteur une mise en perspective de ces faits sont des missions désormais fondamentales. L’information se mêlant à la désinformation, il est devenu indispensable d’effectuer ce travail en amont qui consiste à prouver la véracité des faits et, à l’inverse, à démontrer la manipulation des autres.

Pour ce faire, la presse a notamment besoin de moyens. Or, ce projet de loi de finances (PLF) suscite quelques inquiétudes. En premier lieu, la situation financière de l’Agence France presse (AFP), malgré les réformes d’ampleur engagées, demeure préoccupante. Elle affronte une concurrence mondiale exacerbée, mais le marché de la vidéo en pleine expansion (10% de son chiffre d’affaires) peut représenter une piste de réflexion (certaines agences réalisent 50% de leur chiffre d’affaires grâce à la vidéo).

Ensuite, les aides à la presse, d’un montant de 120 millions d’euros, stagnent ou régressent, accusant une diminution de 6,4% par rapport à la loi de finances initiales pour 2017. Sur ce point, j’aimerais appeler l’attention sur les aides à la modernisation, dont le fonds stratégique pour le développement de la presse qui subit une légère baisse, à mon sens préjudiciable.

Avec les aides au pluralisme, primordiales dans l’environnement actuel, les aides à la modernisation constituent une priorité. Plus globalement, il serait intéressant que le Gouvernement formule une stratégie de soutien à moyen-terme de la presse afin de définir clairement les axes sur lesquels il compte insister à l’avenir. La presse a besoin d’un appui affirmé et d’une véritable visibilité.

En ce qui concerne le volet « livre et industries culturelles », ce dernier est marqué par une transformation profonde de son périmètre, surtout pour le livre ainsi que la lecture publique. Nombre des crédits ont été transférés au programme 224, relatif à la transmission des savoirs et à la démocratisation de la culture, notamment au titre de l’éducation artistique et culturelle.

Par conséquent, il est particulièrement complexe de procéder à une comparaison avec le précédent budget. Néanmoins, j’espère, Madame la Ministre, que l’intégralité des crédits afférents au livre et qui étaient inscrits au sein de ce programme se retrouveront dans le 224. Ils abondent des dispositifs importants, par exemple les contrats territoire lecture qui ont pour objet d’accompagner les projets pluriannuels de développement de la lecture publique portés par les collectivités territoriales et qui comprennent souvent des actions à destination de publics ciblés : les plus jeunes, ceux qui sont éloignés de la lecture etc. Je serai extrêmement vigilante à l’utilisation et à la consommation de ces crédits lors de l’examen du prochain exercice budgétaire.

A cet égard, le contexte actuel semble favorable pour renforcer la politique de lecture publique, et spécialement le rôle des bibliothèques, pour lesquelles vous connaissez mon attachement. D’ailleurs, je me réjouis de l’annonce du Gouvernement qui vise à augmenter de 8 millions d’euros la dotation générale de décentralisation dédiée aux bibliothèques. Après dix ans de stagnation ou de gel, cette décision était attendue par les collectivités et les professionnels. Elle permettra de concrétiser plus facilement à la fois les projets d’investissement et les projets ayant pour finalité d’élargir les horaires d’ouverture.

D’autre part, elle est conforme à la priorité fixée en la matière par le Président de la République et résonne avec la mission conduite en ce moment par Erik Orsenna. Peut-être que la prochaine étape est un projet de loi sur les bibliothèques pour lever les difficultés législatives auxquelles elles font face ?

Enfin, je souhaiterais conclure en évoquant les librairies qui ont eu la désagréable surprise de constater que le Sénat avait voté, dans le cadre de la première partie de ce PLF, un amendement supprimant certains critères d’éligibilité au label « Librairie indépendante de référence » (LIR).

Il a pour conséquence concrète d’étendre l’éligibilité à la labellisation et aux exonérations fiscales à de grands groupes ainsi qu’à des acteurs de la grande distribution, ce qui n’est aucunement l’objectif initial du label LIR. Afin de ne pas fragiliser nos librairies, qui sont des acteurs incontournables de la revitalisation de nos centres-bourgs, j’espère vivement que cette disposition sera effacée au cours de la navette parlementaire. Elle déstabilise la chaîne et l’économie du livre, tout en étant contreproductive sur le plan de l’aménagement du territoire.

Je vous remercie.